«Si le régime vous pardonne, nous, nous ne pardonnerons pas ni n’oublierons». C’est en ces termes peu rassurants que le général de division Issam Zahreddine de l’Armée arabe syrienne, nom générique des forces armées régulières du régime de Damas, s’est adressé récemment à ses compatriotes ayant fui le conflit armé à l’étranger.
Dans une vidéo diffusée sur YouTube, l’officier supérieur de la Garde républicaine syrienne, entouré d’autres militaires et s’exprimant visiblement depuis un site de combat, déclare au micro d’un(e) intervieweur(euse) non identifiée : «A tous les Syriens qui ont fui la Syrie vers d’autres pays : Merci de ne pas revenir. Même si le régime vous pardonne, nous [l’Armée arabe syrienne] promettons de ne jamais oublier ou pardonner. Je vous donne un conseil sincère, ne revenez pas …», provoquant les rires de ses accompagnateurs.
La menace est claire autant qu’inquiétante, et non pour les seuls éventuels candidats au retour.
Une fin de partie mise à mal
Depuis la perte d’Alep-Est en décembre 2016, la révolution syrienne se voit pressée d’admettre sa défaite militaire face au régime syrien.
Dans un contexte marqué par une intervention de plus en plus poussée et persistante de la Russie et de l’Iran, à travers la milice chiite libanaise du Hezbollah soutenue par Téhéran, en soutien à Damas, l’Emissaire spécial de l’ONU et de la Ligue arabe Staffan de Mistura a déclaré sans ménagement le 6 septembre que la révolution devait faire preuve de «réalisme» et admettre qu’elle n’avait «pas gagné la guerre», tout en contrebalançant son propos d’un étrange et anachronique appel au régime à «ne pas crier victoire».
Dans le même temps, les observateurs n’hésitent désormais plus à parler de la reconstruction en Syrie, considérant donc eux aussi le conflit armé comme terminé. Nombre d’entre eux, cependant, soulignent que les démocraties libérales ainsi que les institutions internationales, au premier rang desquelles la Banque mondiale, refuseront selon toute vraisemblance de prendre part à une reconstruction menée par un gouvernement syrien maintes fois mis en cause pour crimes de guerre.
Les propos du général Zahreddine ne viennent donc que mettre à mal le scénario d’une fin de partie sonnée à la hâte par la communauté internationale, puisque celle-ci, suivie le cas échéant d’un retour des réfugiés vers une Syrie privée de tout espoir de liberté, promettrait d’ouvrir la voie à des purges massives effectuées en dehors même du consentement du régime.
Khan Cheikhoun : un aveu implicite ?
Mais ces menaces du général Zahreddine inquiètent encore davantage au regard des conclusions de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie, dont le quatorzième rapport rendu récemment incrimine sans ambiguïté l’Armée arabe syrienne pour l’attaque meurtrière au gaz sarin sur la ville rebelle de Khan Cheikhoun le 4 avril dernier, lors de laquelle plus de quatre-vingts civils, pour la plupart des femmes et des enfants, avaient trouvé la mort.
Balayant les allégations du régime et de la Russie selon lesquelles la destruction d’un dépôt de gaz sarin des forces révolutionnaires était à l’origine du drame, la Commission d’enquête a démontré que c’était un SoukhoÏ 22 qui avait attaqué Khan Cheikhoun. Or, ces appareils de fabrication russe ne sont utilisés que par les forces aériennes de l’Armée arabe syrienne.
En les déclarations cyniques du général Zahreddine, au moment même où, au sein même de l’ONU, un opportun rappel de la barbarie du régime est opposé à une indécente saillie de partialité, il n’est donc pas interdit de voir un aveu implicite, à tout le moins, de l’utilisation délibérée par l’Armée arabe syrienne de tout moyen qui lui convient contre ses opposants au régime. Avec le nécessaire consentement en amont du Président de la République arabe syrienne.
La vidéo :