Par Fred Breton.
Titre : A l’est de Damas, au bout du monde. Témoignage d’un révolutionnaire Syrien.
Auteur(s) : Majd al-Dik avec Nathalie Bontemps. Préface de Thomas Pierret.
Editeur : Don Quichotte. 2016. 295 pages.
Né à Rihanne, dans la Ghouta de Damas, Majd al-Dik a 23 ans quand éclate la Révolution syrienne. Rapidement, Majd s’implique dans les manifestations contre le régime de Bachar al-Assad et est arrêté. Il subira 37 jours de prison, à Al-Khatib, qui n’entameront en rien son engagement pacifiste pour une Syrie Libre et Démocratique. Cet engagement se concrétisera par son implication dans des centres de soin puis par la création de « Source de Vie », un centre consacré aux enfants victimes de la répression qui fait rage et transforme Douma en champs de ruines où survivent vaille que vaille des habitants affamés par un siège brutal. En juillet 2014, soit près d’un après le bombardement chimique de Zamalka, Majd al-Dik quittera la Syrie via le Liban pour la France où il poursuit ses activités d’aide aux civils de la Ghouta.
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« Témoignage d’un révolutionnaire syrien », loin de donner dans la sensation le sous-titre du livre révèle à lui seul le parcours de Majd al-Dik qui est un authentique révolutionnaire syrien. L’un de ceux qui est resté jusqu’au bout fidèle aux principes pacifistes de la Révolution syrienne de mars 2011 et que le Monde s’est attaché à oublier avant même que de s’être intéressé à eux.
Dans la préface, Thomas Pierret, chercheur et grand connaisseur de la Syrie, nous rappelle en effet qu’une « authentique révolution politique, sociale et culturelle s’est produite en Syrie en 2011. ». Sa courte mais essentielle introduction à l’histoire de Majd al-Dik nous met, ou remet, en lumière combien fut important ce soulèvement populaire dont nos sociétés devraient savoir tirer les enseignements pour assurer leur propre avenir.
Pour initier son récit, Majd al-Dik nous narre sont enfance et ses origines populaires, à Rihane, banlieue de Damas située plus exactement dans la Ghouta orientale dont la « capitale » est Douma. Avec 4 enfants et un maigre salaire rapporté par son père, la famille peine comme nombre de familles syriennes modestes et Majd est obligé de travailler dès 10 ans pour payer les frais de scolarité. C’est ce qui l’empêchera d’intégrer le lycée avec en ligne de mire l’épée de Damoclès la conscription obligatoire dès 18 ans. Toutefois, l’envie d’étudier et de réussir est forte et Majd se donne les moyens d’obtenir son baccalauréat, en candidat libre, ce qui repousse cette échéance fatidique. Dans son parcours d’adolescent, Majd aura connu des métiers durs dans l’agriculture puis les usines. C’est un stage de secourisme qui le fera progressivement se rapprocher de l’humanitaire vie le Croissant rouge, l’UNICEF et finalement le HCR qui lui offre un emploi stable.
Dès le début des manifestations de mars 2011, celles-ci attirent irrésistiblement Majd qui dit lui même que sa famille n’était pas très politisée. Les réseaux sociaux lui permettent de se connecter aux mouvements et, après moult tergiversations, de rejoindre les mouvements populaires dans la rue à la fois angoissé et heureux. Grâce à lui, le lecteur découvrira les trésors de ressources dont témoignent les manifestants pour pouvoir éviter les forces de l’ordre et le caractère éminemment pacifique et unitaire de ces manifestations que reflète le slogan « Wahed ! Wahed ! Ach-chaab as-souri wahed » (Un ! Un ! Le Peuple de Syrie ne fait qu’un). Les villes communiquent entre elles, l’information circule et les premiers Comités de coordination se créent pour organiser les manifestations. Le sarcophage de plomb mis en place par Hafez al-Assad depuis plus de 40 ans n’est toutefois pas aisé à fissurer et des tensions se font dans la société entre les protestataires et ceux que ce mouvement effraie. Puis apparaissent, dès avril 2011, les répression, brutales, violentes et mortelles par la police du Régime. Les villes comptent leurs morts et égrènent la litanie macabre du nom des martyrs.
La répression passe aussi par la chasse féroce menée contre les protestataires. Pour avoir fait confiance à un homme qui lui assurait pourtant l’aider à fuir la police après une manifestation, Majd se retrouve en prison. Commencent alors 37 jours de tortures mentales et physiques au cours desquels Majd s’attachera à ne parler que pour lui et à ne rien révéler de ses amis. Majd rencontre d’autres hommes, des activistes comme des citoyens raflés aux hasard sous des prétextes divers et qui, tous, subissent ce processus bien rodé qui vise à briser les esprits, casser les solidarités et monter les individus les uns contre les autres. Majd est finalement libéré, allez savoir pourquoi même si cette libération soudaine fait également partie du système tortionnaire en laissant accroire que le Président est d’une immense mansuétude et sais pardonner…
Lorsqu’il revient chez lui, à Rihane, Majd découvre une évolution subtile. Son cousin Fouad s’est armé, pour se défendre et ne pas avoir à vivre ce que lui a vécu par son arrestation. L’Armée Libre a ainsi fait son apparition. Les hommes en armes sont là pour protéger les manifestants. Majd lui prend une autre voie : celle du soin aux blessés en s’appuyant sur les connaissances et pratiques acquises au Croissant rouge. Grâce à la femme de son oncle Bachir, Majd trouve les financements qui lui permettent de se procurer le minimum de matériel médical. Le quotidien s’inscrit alors dans une forme de routine : sortir par des chemins détournés, trouver du matériel et revenir par ces chemins plus ou moins abrités des snipers.
Majd bouge beaucoup et se retrouve une nouvelle fois à Damas où il rencontre Dima qui, par son sans froid mais également par le fait qu’elle vient de Lattaquié, le sauvera d’une arrestation inéluctable que lui aurait valu la mention de Douma sur sa carte d’identité. Plus que de promouvoir l’unité d’un Peuple, le régime Assad s’est ainsi toujours attaché à encourager les logiques confessionnelles et ceci se renforce avec la Révolution. A Jaramana, où Majd a trouvé un nouveau logement, le pouvoir met en place des « comités populaires » appuyés sur des bases confessionnelles dont le seul but est de faire s’entre-tuer les citoyens. A l’Est Damas, la vie est désormais rythmée par les attaques de l’Armée Libre, celles de l’armée syrienne, le soin aux blessés et les arrestations arbitraires. Le cousin de Majd, Khaled sera arrêté et son père n’apprendra que trois ans plus tard sa mort sous la torture.
A Douma, les obus ont succédé aux balles. La présence de l’Armée Libre gêne considérablement le Régime, ce qui n’empêche pas les incursions destructrices. Les maisons sont détruites par les tirs des chars comme celle de la tante de Majd dont la famille emménage chez ses parents, ce qui oblige à repousser les murs et Majd à trouver un autre logement. Ces opérations sont le théâtres de véritables massacres ciblés et à forte teneur symbolique, comme dans le quartier de la Corniche où furent abattus l’ensemble des membres de familles en vue. Devant la violence de ce qui est exigé d’eux, des soldats se révulsent et désertent pour rejoindre l’Armée Libre. Jusqu’en octobre 2012, Majd poursuit ses allers – retours entre la Ghouta et Damas, où il retrouve Dima qui s’occupe de son quotidien mais auprès de laquelle son engagement révolutionnaire l’empêche de s’attarder. Fin octobre 2012, les avions apparaissent dans le ciel de Douma et aux éclats des bombes répondent les cris de « Chahid ! Chahid ! » (Martyrs ! Martyrs!) toujours plus nombreux. Le sang coule dans les salles de soins improvisés, les soignants épuisés et à court de matériel ne peuvent sauver toutes les vies.
L’Armée Libre et les différents groupes armés hétéroclites qui la composent s’organisent et Douma se retrouve progressivement libérée. A la veille d’une opération d’ampleur, Majd accompagné de Dima fait sortir ses parents de Rihane. Pendant cette fuite, Anas, un jeune homme de l’Armée Libre qui les assistait trouvera la mort, touché par un obus de mortier. Cette mort bouleversera profondément Majd. Ils finissent toutefois par arriver sains et sauf dans le quartier de Jawbar (Jobar) à Damas mais à peine arrivés, ils apprennent la mort de Fouad, le cousin qui avait pris les armes, tué alors qu’il défendait Douma. Jusqu’à sa mort et même en ayant pris les armes, Fouad sera resté fidèle aux idéaux révolutionnaires de mars 2011. Il incarne ces individus qui se sont retrouvés armés par la violence de la répression mais auront refusé jusqu’au bout de céder aux sirènes des financements étrangers qui commencent à orienter les positionnements et les actions des différents groupes qui se créent progressivement et dévoient les principes fondateurs de la Révolution.
La Ghouta orientale libérée, mais soumise à une pression mortifère du Régime, Majd se consacre à l’émergence de son projet qui verra le jour à Misraba. Grâce à l’appui d’Abou Fahd, un chef rebelle, et de Souheil, qui mourra quelque temps plus tard, Source de Vie est fondée fin février 2013 et peut commencer à oeuvrer en direction des enfants touchés par la guerre grâce à l’implication de 15 institutrices qui recevront toutes une formation en soutien psychologique. Peu à peu, Source de Vie se développe, prend en charge de plus d’enfants et les aide progressivement, à force de patience et d’humanité, à retrouver et revivre leur âge réel.
Mais, après s’être armée, la Révolution subit une nouvelle évolution avec l’apparition et la montée en puissance de groupe « islamistes » (ou aux idéologies fortement marquées par la religion). Liwa al’Islam fait partie de ces groupes qui s’imposent comme l’une des forces armées organisées et dominantes vers laquelle finissent par partir nombre de rebelles désargentés et trop faiblement soutenus. Ces groupes tentent d’imposer leur loi et finissent par menacer de fermer Source de Vie, ce que Majd refuse catégoriquement de faire.
A l’instar de Source de Vie, la Ghouta est le terreau d’initiatives citoyennes et humanistes comme le Centre de documentation des violations dans la Ghouta en déclinaison d’une initiative de Rezan Zaïtouneh qui contribua à créer en Syrie ces centres pour documenter les crimes du régime et de l’opposition. Presque naturellement Majd rencontre alors Rezan et son amie Samira al-Khalil, deux grands figures de la résistance civile syrienne dont l’engagement est bien antérieur à celui des soulèvements de mars 2011. De leur rencontre naîtra une solide amitié et une nouvelle initiative, en faveur des femmes, qui avait pour objet d’accueillir « 200 femmes pour chaque session de 3 mois. Il [le centre] leur enseignerait l’artisanat, la coiffure, les 1ers secours et certaines notions de soutien psychologique pour leurs enfants. ». Rezan Zaïtouneh et son mari Waël Hamada, Samira al-Khalil, par ailleurs femme de Yassin al-Haj Saleh et un ami, Nazem al-Hamadi disparaissent sans laisser de traces un jour de décembre 2013. Plus personne n’a de nouvelles depuis.
Bien que libre de toute occupation du Régime, la Ghouta orientale est le théâtre d’un siège intraitable qui en verrouille tous les accès et noie les habitants sous des bombardements intenses. Le quotidien des habitants est tout tourné vers la recherche de nourriture et le jeu de cache – cache avec la mort venue du ciel. Majd raconte les trésors de créativité dont font preuve les habitants pour fabriquer des succédanés, parfois mortels, à toutes sortes de produits de base venus à manquer cruellement en un lieu autrefois verdoyant et fleuri et qui est devenu un enfer sans lumière. Une économie parallèle, encouragée par le Régime, se met en place avec des affairistes qui s’enrichissent considérablement en offrant aux assiégés divers services et produits leur permettant de subvenir, quoique de manière limitée, à leurs besoins primaires.
En août 2013, plus exactement dans la nuit du 20 au 21 août, la Ghouta connaît l’un des événements les plus dramatiques depuis le début des manifestations. Appelé en urgence, Majd se rue vers le dispensaire de Khoulani pour y découvrir un nombre effrayant de victimes, à chaque instant plus nombreuses, toutes la bave aux lèvres et sans une goutte de sang. Assad vient de faire bombarder Zamalka à l’arme chimique ce qui occasionne au moins 1 300 morts et plus de 3 000 personnes présentant des troubles neurologiques. Cette exaction n’entraîne d’autre rétorsion internationale que la destruction de l’arsenal chimique syrien. Dans la Ghouta, après l’espoir d’une intervention extérieure, les habitants reviennent à leur lutte quotidienne pour la survie et Majd aux activités de Source de Vie à destination des enfants.
A la fin de son témoignage, en mars 2014, Majd est toujours à Rihane avec ses parents lorsque survient un nouveau bombardement, cette fois avec une bombe à fragmentation. Grâce à la bonne volonté d’un homme, Majd exfiltre ses parents de Douma pour le mettre en relative sécurité et revient à Rihane, poursuivre son action. Ce sont visiblement l’insistance de sa mère et de Dima qui l’amènent à prendre l’une des décisions certainement les plus dures de son existence, celle de partir pour sa propre sécurité et de quitter définitivement la Syrie pour le Liban depuis lequel il finit par rejoindre la France, presque par hasard. Majd arrive dans notre pays en décembre 2014 et il créée dans la foulée Source de Vie pour soutenir les assiégés de la Ghouta.
Dans sa préface, Thomas Pierret écrit que « le lecteur ne pourra que concevoir une profonde tristesse à l’idée que l’on ait abandonné les révolutionnaires syriens à l’entreprise génocidaire des tyrans de Damas, Téhéran et Moscou. Ne ressentir que de la compassion pour les Syriens ne serait toutefois pas rendre justice à ce livre qui doit, d’abord et avant tout, susciter de l’admiration.» Oui, en plus d’être un témoignage vécu et poignant, d’une précision qui suscite parfois l’effroi, du quotidien sur 3 ans et demi des habitants de la Ghouta, le livre de Majd est également le vibrant témoignage qui raconte ce que furent les aspirations humanistes et la créativité citoyenne foisonnante de la Révolution syrienne. Oui, le lecteur ne pourra qu’être écœuré en comprenant que des aspirations populaires immenses ne furent pas seulement noyées dans le sang mais qu’elles furent également niées, méprisées par les pays qui auraient été les plus susceptibles et capables d’arrêter les massacres. Et pour finir, le lecteur découvrira également en Majd al-Dik l’un de ces êtres humains ordinaires d’exception qui restent fidèles à leurs idéaux et n’ont d’autres aspirations que de consacrer leur énergie à aider leurs semblables sans pour autant sacrifier à leurs idéaux.