Jamil Hassan était encore le chef des Services de renseignements de l’armée de l’air d’Assad lorsqu’il a déclaré « « Une Syrie avec 10 millions de personnes fiables, obéissantes envers ses dirigeants est bien meilleure qu’une Syrie composée de 30 millions de vandales ».
Fuir, partir pour d’impossibles ailleurs, c’est le quotidien depuis 9 ans d’une large majorité de Syriens soumis dès 2011 à la répression sauvage du régime de Bachar Al-Assad, aux exactions des groupes djihadistes et des seigneurs de guerre, aux sièges impitoyables et bombardements de l’armée nationale syrienne soutenue par la Russie, l’Iran et le Hezbollah. Depuis le 24 janvier, le régime de Bachar al-Assad a lancé une campagne militaire d’une rare violence en vue de reconquérir le dernier refuge de ceux qui ont fuit les zones libérées de son emprise à partir de 2012 et reprises progressivement depuis 2015. A ce jour, plus de 800 000 personnes fuient les combats et se retrouvent coincées entre l’avancée de l’armée, les bombardements russo-syriens intensifs et une frontière turque encore fermée.
Témoigner, encore et encore, toujours parler pour ne pas oublier. Avec son aimable autorisation, nous publions ici un témoignage posté par Reinette Goldberg sur son compte facebook le 28 février 2020.
Malak, ça veut dire l’ange…
– Envoie moi une photo pour illustrer mon post.
– Voilà, elle s’appelle Malak. Malak ça veut dire l’ange.
C’est en larmes que je décide de raconter brièvement l’histoire mon amie Lana* et ce qu’elle vient de me confier au sujet de sa famille coincée à Idleb.
Avec son autorisation, bien-sur car elle croit toujours en la nécessité de témoigner: en Syrie, depuis le début de la révolution elle était media-activiste et c’est ce qu’elle faisait pour les autres en bravant tous les dangers.
Avant ça, elle poursuivait des études de français à l’université de Homs.
Issue d’une famille d’agriculteurs, Lana est une femme solide avec une personnalité forte, un beau regard profond et le rire toujours au bord des lèvres.
Toute sa famille était avec la révolution dès le début du soulèvement.
Quand deux de ses frères ont été emprisonnés en 2012, le père en est resté littéralement sans voix. Il n’a depuis jamais retrouvé l’usage de la parole.
Le premier des frères de Lana a été libéré car le second a accepté de se livrer au régime. Le premier est mort des séquelles des tortures, le second n’est jamais réapparu et personne ne sait si il est encore en vie.
La douleur de l’âme a gagné le corps et les jambes du père se sont paralysées.
La femme du disparu ne s’est pas remise de l’absence et de l’incertitude, le chagrin l’a emportée, laissant 7 enfants orphelins. L’un d’eux est maintenant en Turquie, il a 17 ans et travaille pour faire vivre ceux restés en Syrie.
Il y a trois jours, avec l’intensification des bombardements et l’armée du régime qui se rapproche dangereusement de leur village, ils se résolvent à quitter leur maison.
Au dernier moment, le père refuse de monter dans la voiture, à cause de la paralysie, mais surtout à cause de l’attachement à sa terre. Alors, ne voulant pas le laisser seul, l’un de ses petits fils -celui dont le père à disparu dans les centres de torture du régime- est resté à ses cotés; ensemble ils s’en remettent à Dieu et attendent un miracle … ou la mort.
Les autres, la maman, la fratrie et les neveux dont Malak, sont partis se cacher à la montagne dans les ruines abandonnées du village des ancêtres. Une partie de la famille est sous tente, l’autre dort dans la voiture.
Mais l’absence du père les tenaille et bientôt, sans doute rentreront-ils pour le rejoindre et attendre avec lui leur destin dans le village déserté de la plaine.
Les liens familiaux sont sacrés en Syrie.
*J’ai changé son prénom.
(Texte écrit par Reinette Goldberg)