Depuis 1970, avènement d’Hafez Al-Assad, la Syrie était un pays confiné. Le maillage serré des services de renseignement et l’emprisonnement comme mode de gouvernance enfermaient les esprits, les corps et les âmes. La révolution de mars 2011 a libéré la parole et une véritable énergie créatrice s’est exprimée à travers un foisonnement d’innovations citoyennes, d’expressions artistiques et intellectuelles. La répression brutale du régime Assad conjuguée à une inertie de la communauté internationale a projeté les Syriens dans un autre confinement.
Arrêtés arbitrairement, déplacés loin de chez eux sur le territoire syrien, réfugiés à l’étranger, survivant dans leurs villes tenues par le régime Assad… Quelles que soient leurs situations, les Syriens sont très peu entendus et vivent une nouvelle forme de confinement et d’enfermement dont le premier est, à nos yeux, l’indifférence.
La visibilité croissante de journaux de confinement « bourgeois » de personnalités qui croient vivre une soudaine apocalypse a motivé Nina Khokha, artiste syrienne originaire d’Alep, pour écrire et dessiner des histoires, vraies ou inspirées de plusieurs histoires vraies, qui racontent ces enfermements ignorés voire méprises : celle de Syriens d’aujourd’hui plongés en pleine apocalypses. Nous lui ouvrons nos pages, en la remerciant.
Voici leurs histoires :
Les confinés . Jour 3 : Maggy
المحظورين : ماغي
Par Nina Khokha.
Maggy a 33 ans, elle vient des Philippines. Elle habite à Alep depuis 9 ans, où elle s’est faite engagée comme domestique dans une famille riche, notamment pour servir de femme de ménage et de dame de compagnie à une vieille dame. La vie étant tellement précaire à Manille, elle fait partie de ces milliers de philippins qui s’exilent pour travailler et faire vivre leur famille, à distance. Elle a un petit garçon, Théo, qui avait deux ans quand elle est partie. Il est resté avec ses parents. Le père du garçon, son amoureux, est parti travailler comme employé d’un grand hôtel à Dubaï. Mais il a rencontré une autre femme là bas, et il vit maintenant avec elle, dans une pièce et une salle de bain, dans le quartier des petits travailleurs et ouvriers.
Maggy voit grandir Théo sur son écran de téléphone, et elle essaye de lui parler tous les jours, dès qu’elle a un moment de libre et que le décalage horaire le permet – entre le ménage, la cuisine, et la toilette de la vieille dame syrienne dont elle doit s’occuper. La vieille dame est très gentille avec elle, elle lui apprend les recettes d’Alep et adore les vermicelles de riz aux légumes que Maggy lui a fait découvrir. Maggy a de la chance, car des histoires d’horreur et de quasi esclavage, ses copines en ont vécu, dans d’autres maisons, à travers le monde où elles se sont exilées.
Maggy reste cependant inquiète à chaque fois que le fils de la vieille dame vient lui rendre visite. Il pose sur elle des regards concupiscents, et il lui a déjà offert un ensemble de lingerie en dentelle rouge. Elle n’a pas vraiment compris pourquoi, mais au fond d’elle, elle l’a deviné. Elle ne l’a pas dit à la vieille dame pour ne pas lui faire de la peine.
Depuis 8 ans, c’est la guerre en Syrie. Et Maggy est doublement exilée. Coincée dans un pays en guerre qui n’est pas le sien, loin de chez elle, loin de son fils. Pourtant elle aurait de la peine à quitter la vieille dame, qui est maintenant pour elle comme une maman.
Maggy aime se faire belle, elle adore les blogs de mode, et de temps en temps, quand la vieille dame se repose, elle se maquille et se fait des selfies, qu’elle poste sur son Instagram.