Depuis 1970, avènement d’Hafez Al-Assad, la Syrie était un pays confiné. Le maillage serré des services de renseignement et l’emprisonnement comme mode de gouvernance enfermaient les esprits, les corps et les âmes. La révolution de mars 2011 a libéré la parole et une véritable énergie créatrice s’est exprimée à travers un foisonnement d’innovations citoyennes, d’expressions artistiques et intellectuelles. La répression brutale du régime Assad conjuguée à une inertie de la communauté internationale a projeté les Syriens dans un autre confinement.
Arrêtés arbitrairement, déplacés loin de chez eux sur le territoire syrien, réfugiés à l’étranger, survivant dans leurs villes tenues par le régime Assad… Quelles que soient leurs situations, les Syriens sont très peu entendus et vivent une nouvelle forme de confinement et d’enfermement dont le premier est, à nos yeux, l’indifférence.
La visibilité croissante de journaux de confinement « bourgeois » de personnalités qui croient vivre une soudaine apocalypse a motivé Nina Khokha, artiste syrienne originaire d’Alep, pour écrire et dessiner des histoires, vraies ou inspirées de plusieurs histoires vraies, qui racontent ces enfermements ignorés voire méprises : celle de Syriens d’aujourd’hui plongés en pleine apocalypses. Nous lui ouvrons nos pages, en la remerciant.
Voici leurs histoires :
Les confinés . Jour 4 : Saria
المحظورين : سارية
Par Nina Khokha.
À 7 ans à peine, Saria n’en fait déjà qu’à sa tête. C’est une petite chipie pleine de vie, toujours la première à initier les bêtises et les pitreries dans son groupe d’amis.
Elle est folle de gomme balloune, qu’elle se procure au petit magasin du camp. Elle adore faire des grosses boules de gomme et les écraser sur son visage pour provoquer l’hilarité des autres gamins. Saria a senti, d’instinct, que faire rire les autres les attirait à elle, et meneuse de nature, elle fait le clown pour attirer l’attention.
Faut dire aussi qu’elle manque un peu d’affection.
Saria est née en 2013 dans la Ghouta de Damas, en plein milieu de la guerre.
Peu après sa naissance ses deux parents ont péri lors d’un bombardement au gaz sarin. Elle n’avait que deux mois, et elle a été sauvée in extremis et recueillie par la famille de son oncle, qui se sont échappés vers le sud, pour rejoindre le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie. Son oncle et sa tante, frustrés d’avoir tout perdu et de se retrouver avec une gamine de plus sur les bras, ne sont pas toujours tendres avec elle. Oh ils ne sont pas méchants, mais ils n’ont pas beaucoup de temps à lui accorder et elle n’est pas autant cajolée et prise dans les bras que ses cousins.
Chaque semaine, 80 enfants en moyenne naissent à Zaatari. Cette génération d’enfants n’est jamais sortie du camp.