La prison et la torture sont des armes utilisées de longue date par la famille Assad pour asseoir son pouvoir. Depuis 2011, l’emprisonnement, la torture et le exécutions de masse sont passées à l’ère quasi industrielle. Le dossier César, révélé au grand public par un livre de Garance Le Caisne, a mis en lumière la machine de mort syrienne. Des ONG (Amnesty International, Human Rights Watch, Syrian Network 4 Human Rights…) tentent de documenter les victimes de disparitions et emprisonnements forcés.
Ces témoignages que nous publions rendent hommage aux morts et disparus dans les abattoirs humains du Clan Assad, pour ne pas oublier , jamais.
3652 jours ont passé sans que je puisse te dire bonne nuit.
Ecrit par Firas Kontar le 10 février 2024.
Le poète et écrivain syrien Nasser Boundok est mort dans les prisons d’Assad.
Nasser est originaire de la province de Soueïda, dans le sud du pays (ma province d’origine). Il était fonctionnaire et avait participé aux manifestations pacifiques de 2011 contre le régime Assad. Il était également actif dans les réseaux d’aide humanitaire clandestine en soutien aux villes assiégées par le régime Assad et apportait son aide aux populations forcées à l’exil. Il a été arrêté le 17 février 2014 à son domicile dans les faubourgs de Damas par les sbires du renseignement militaire.
Aucune information n’avait filtré depuis, et il y avait eu quelques rumeurs sur son décès. Hier*, lors des manifestations à Soueïda, sur la place de la dignité, son frère a annoncé son décès en prison. La famille a appris sa mort via un acte d’état civil il y a 3 jours. L’acte mentionne une date de décès remontant au 5 mars 2014. La famille a vécu 10 années dans l’espoir de revoir Nasser… Il n’aurait survécu que quelques jours dans l’enfer des geôles d’Assad ; c’est son humanisme et sa soif de liberté qui l’ont tué.
La mort de Nasser en prison révèle beaucoup de choses sur la Révolution syrienne : des intellectuels, des étudiants, des jeunes meurent en masse dans les prisons du régime alors que les islamistes en sont libérés. L’indifférence de la communauté internationale face aux prisons d’Assad, en réalité des camps d’extermination, où des milliers de Syriens sont morts et où 135 000 autres agonisent, est à l’image de l’abandon des Syriens depuis plus d’une décennie.
Repose en paix, Nasser.
Que les mots de ta fille Enana t’atteignent où que tu sois et éveillent les consciences endormies.
« 3652 jours ont passé sans que je puisse te dire bonne nuit. 3652 jours, ton fils est maintenant diplômé, ta fille a grandi, et ton épouse attend toujours tes caresses.
Papa rêvait d’un pays offrant un avenir à ses enfants où ils pourraient s’exprimer, grandir et vivre librement. Ils ont volé son sourire, sa voix et son bonheur de me voir grandir. Le monde continue de tourner, mais je ne pardonnerai jamais ! Ils l’ont fait disparaître, mais son rire est gravé dans mon esprit, la chaleur de ses paroles est présente dans la dureté et la solitude de nos nuits. Ils cherchent à l’effacer de nos mémoires, mais il vit en nous. Le souvenir de son sourire donne le courage des héros de ses romans. »
* 09 février 2024
Photo de Nasser Boundok, publiée par Firas Kontar. Auteur, date et lieux non connus.