
Deir Ezzor: Un gouvernorat marginalisé et des citoyens avec des poches vides.
Deir Ez-Zor appelée également « Arous Al-Furat » ou encore « Durrat Al-Sharq » ou la Perle de l’Euphrate. Ces différents noms sont dus à sa situation sur les berges de la Rivière Euphrate, qui divise le gouvernorat en deux parties, et aussi à cause de son emplacement géographique, car elle est aussi la porte d’entrée orientale de la Syrie qui relie les gouvernorats syriens à l’Irak.
On parle beaucoup de Deir Ez-Zor dans les médias en ce moment depuis que les forces d’Assad et leurs alliés ont réussi à lever le siège que Daech avait imposé sur certains quartiers de la ville il y a trois ans.
Le gouvernorat est naturellement riche en ressources néanmoins lorsque le Parti Ba’ath était au pouvoir et contrôlait Deir Ez-Zor, les conditions de vie et la situation économique étaient particulièrement difficiles. Cependant, la situation s’est encore aggravée depuis la révolution syrienne et l’entrée de Daech et sa prise de contrôle sur une grande partie de la ville en 2014.
La Perle de l’Euphrate est Riche en Ressources Naturelles.
Deir Ez-Zor est situé à 450 km de la capitale Damas. C’est le deuxième plus grand gouvernorat syrien dans la région après Homs. Il couvre une superficie d’environ 33 000 kilomètres carrés et représente 17 pour cent de la superficie de la Syrie.
Comme la province est d’une grande importance économique, elle a attiré l’attention d’une multitude de pays qui cherchent à prendre le contrôle de celle-ci afin de mettre la main sur ses richesses et ses ressources naturelles.
Lorsque le chercheur économique, Soqrat al-Alou, a parlé de Deir Ez-Zor avec Enab Baladi, il a expliqué que l’importance économique de Deir Ez-Zor est surtout fondée sur sa richesse en ressources naturelles. On peut trouver 40% des réserves pétrolières de la Syrie à Deir Ez-Zor, et, en plus, il existe des gisements de gaz naturel, notamment le champ Thayyem, qui se trouve à environ six kilomètres du centre de la ville.
Selon un rapport de 2014 du Réseau Syrien pour les Droits de l’Homme [SNHR] intitulé « Le Pétrole comme une Arme en Syrie, » le gouvernorat de Deir Ez-Zor contient les plus grands gisements de pétrole et de gaz en Syrie, dont les plus importants champs de pétrole sont le champs de pétrole d’al-Omar au nord-est de la ville de Mayadin, celui de Tink à Al-Shaitat Badia dans la campagne orientale de la ville, celui d’Al-Ward près du village d’Al-Dwair dans la campagne orientale de la ville, celui de Thayyem près de la ville d’Al-Muhasan au sud de la ville, celui d’Al-Jafra à 25 km à l’est de la ville, en plus de l’usine à gaz de Conicositué à 20 km à l’est de la ville, la station pétrolière d’al-Kharata, située à 20 km au sud-ouest, et la station pétrolière T2, située sur le gazoduc iraquien syrien.
Autrefois, c’était la famille Assad, la famille dirigeante en Syrie, qui percevait les revenus de ces champs de pétrole, selon le rapport d’Al-Shabaka, qui a cité plusieurs responsables dissidents qui racontent que «la plus grande partie des revenus pétroliers n’était pas incluse dans le budget du pays, mais qu’ils allaient plutôt à la famille Assad. »
D’après le Rapport Statistique Mondial sur l’Energie, publié par la Compagnie britannique « PB », les revenus pétroliers ont atteint environ 385 000 barils par jour en 2010.
Le rapport indiquait que les revenus étaient consacrés aux dépenses personnelles de loisirs, alors qu’une autre partie était affectée au financement des chabihas et des milices appartenant à la famille dirigeante afin de maintenir la sécurité du dictateur dans le pays, et, en même temps, de s’engager dans des actes de terrorismes subversives pour ébranler la sécurité et la stabilité de la région et des gouvernorats syriens. Peut-être une petite partie des revenus étaient attribuée à des situations économiques ou politiques urgentes».
Après le déclenchement de la révolution, le régime a perdu le contrôle de la plupart des gisements pétroliers. Des conflits et des différends ont éclaté, ensuite, entre l’Armée Syrienne Libre et le Front al-Nosra, dans le but de prendre le contrôle des champs pétroliers pour en tirer des revenus financiers très importants. Et puis Daech a pris le contrôle de ces champs en 2014 et ils sont devenus leurs plus grandes sources de financement pour leurs opérations. Des rapports économiques indiquent que Daech gagnait au moins 2 millions de dollars par jour en vendant du pétrole à de nombreuses parties, y compris au régime par des intermédiaires.
En plus des puits de pétrole, l’importance de la Perle de l’Euphrate se reflète aussi dans sa contribution à environ 30% de la production agricolede la Syrie, principalement le blé et le coton, selon al-Alou. Al Alou a également souligné que le gouvernorat a de grandes attractions touristiques car la Rivière Euphrate traverse la ville, et que la ville a de nombreux sites archéologiques, y compris les ruines du Royaume de Marie (Dura-Europos) et les citadelles de Al-Rahba, Halabiye et Zalabiye.
La ville est également connue pour son bétail. Elle a également des roches de sel et des racines d’où on extrait le sel gemme. En outre, elle est considérée comme la plus grande source d’eau douce grâce à la Rivière Euphrate, ainsi que d’autres rivières comme la rivière Khabour, des fontaines et des puits.
Marginalisation Délibérée et la Négligence de l’Opposition.
Malgré les ressources naturelles importantes de Deir Ez-Zor, la ville était marginalisée par l’ancien Président Hafez al-Assad et son fils. Comme ils se préoccupaient uniquement des ressources souterraines et négligeaient le développement du gouvernorat, la ville était confrontée à des conditions difficiles à divers niveaux aussi bien économiques, sociaux, culturels et politiques. Par conséquence, il y a eu une augmentation de la pauvreté et le nombre de jeunes gens de Deir Ez-Zor qui ont migré vers d’autres gouvernorats, pour le travail ou les études.
Le chercheur Al-Alawi a souligné que, pendant la gouvernance des deux Assads, la ville était témoin d’une situation économique déplorable et la population n’a pas du tout bénéficié des ressources naturelles du gouvernorat à cause de la répartition inégale des richesses. En outre, l’absence de projets de développement et le fait de décourager des investissements dans la ville a transformé Deir Ez-Zor en une ville de classe moyenne de fonctionnaires de l’État, d’agriculteurs, et quelques travailleurs indépendants tels que des médecins, des ingénieurs, des commerçants et des avocats.
Quant à la marginalisation délibérée de Hafez al-Assad dans la région, Al-Alou a expliqué que sa stratégie pour la Syrie était fondée sur la création d’une très importante concentration de la population à Damas et à Alep où les universités, les hôpitaux, les secteurs militaires et les possibilités d’emploi disponibles se trouvaient uniquement dans ces deux villes afin de faciliter le contrôle de la sécurité dans le pays. Cependant, la marginalisation de Deir Ez-Zor n’était pas un cas particulier, mais plutôt une réalité semblable aux autres gouvernorats syriens, à l’exception de Damas et d’Alep. La réalité de Suwayda, Daraa, Lattaquié et Homs n’était pas meilleure que celle de Deir Ez-Zor.
De son côté, le colonel à la retraite, Hatem Al-Rawi, originaire de Deir Ez-Zor, a affirmé que Hafiz al-Assad avait longtemps marginalisé la ville mais que la Coalition Nationale pour la Révolution Syrienne, les Forces de l’Opposition et des gouvernements intérimaires successifs avaient eux aussi marginalisé et négligé la ville après le déclenchement de la révolution syrienne. En outre, en laissant l’Armée Syrienne Libre sans soutien dans la ville a permis l’entrée des mouvements extrémistes, en particulier Daech.
Daech qui suit les traces d’Assad.
Deir Ez-Zor était l’une des premières villes à se révolter contre le régime d’Assad, mais, par la suite, quand Daech a pris contrôle de la ville, les citoyens ont subi le même sort avec Daech qui a suivi dans les pas d’Assad en pillant la richesse de la ville et le gagne-pain de son peuple.
Cependant, al-Alou a dit qu’il n’est pas possible de faire une comparaison entre le régime de Daech et celui d’Assad en termes de gestion économique du gouvernorat car le système économique de Daech n’est pas basé sur des institutions. C’est plutôt une économie primitive considérée comme une combinaison, en premier, de ce qu’ils peuvent extraire et vendre des produits du gouvernorat comme le pétrole et les récoltes agricoles, et, ensuite, les impôts que Daech impose sur les citoyens. Il faut se rappeler aussi que la plupart des puits de pétrole du gouvernorat sont hors service en raison de la cessation des opérations d’entretien et l’utilisation des méthodes d’extraction primitives, sans oublier les difficultés rencontrées pour le transfert et la vente du pétrole extrait quand la Coalition Internationale contrôle et cible leurs camions –citernes.
Al-Alou, qui est originaire de Deir Ez-Zor, a déclaré que «les conditions de vie des citoyens sont difficiles parce que les salaires des employés qui vivent dans les zones contrôlées par Daech ont été coupés, en plus d’un manque de services médicaux et l’absence d’un système d’éducation.» Il a remarqué que la situation des agriculteurs et des travailleurs indépendants est considérée légèrement mieux que les autres, étant donné qu’ils ont pu continuer à travailler même avec la présence de Daech. En outre, le lien entre les zones contrôlées par Daech entre Deir Ez-Zor et l’Iraq a créé un mouvement commercial entre la ville et Mossoul et Anbar en Iraq, ce qui a contribué à une reprise économique relative et à une diminution des prix des produits de base, en particulier des légumes et de la viande.
Daech Vide les Poches des Citoyens.
Enab Baladi a rencontré quelques résidents de Deir Ez-Zor qui avaient récemment quitté la ville, pour découvrir la véritable situation économique là et comment ils vivaient sous le contrôle de Daech.
Nasser Hattab, un homme de 56 ans qui était déplacé de Deir Ez-Zor, et qui avait travaillé comme agriculteur dans la zone rurale de la ville, a décrit ce que Daech faisait dans les autres zones sous son contrôle en disant: «Quand quelqu’un prend votre argent et vous rend quelques pacotilles à la place, c’est un vol public. » Il a expliqué à Enab Baladi que «ce qui se passe est honteux et triste, en particulier lorsque les membres de Daech profitent de la tragédie du peuple et de leur pauvreté et qu’ils volent le peu d’argent qu’ils leur restent en les forçant à faire des transactions en utilisant les devises de Daech.»
Il y a plus de deux ans, Daech avait frappé sa monnaie à partir de dirhams, de dinars et de cinq dinars dans plusieurs endroits qu’il contrôlait en Irak et en Syrie. Il inondait les marchés avec une partie de leurs propres devises, alors que, en même temps, il maintenait les monnaies locales et internationales parce que celles-ci constituaient une partie importante de leurs transactions étrangères et un élément de soutien important du secteur étranger dans ses régions, surtout que la plupart des transactions et opérations des citoyens sont effectuées avec des devises locales et étrangères.
De sa part, Mohammed Al-Khalaf, également connu sous le nom d’Abu Abdullah (63 ans), un homme déplacé de Deir Ez-Zor a convenu avec Hattab que les conditions économiques dans les zones contrôlées par Daech se sont dégradées et détériorées, ce qui a contraint Daech à obtenir par n’importe quel moyen de l’argent et des devises étrangères. Il a également précisé que la condition de vie était acceptable plusieurs mois auparavant, mais après chaque défaite, Daech devenait de plus en plus violent, brutal et avide pour acquérir de l’argent.
Abu Abdullah a souligné que «la goutte d’eau qui a fait déborder le vase sur les marchés était lorsque Daech a imposé sa propre devise locale, des dirhams, des dinars et des fils, et l’interdiction de faire des affaires avec d’autres devises», tout en imposant en même temps des sanctions qui pouvaient atteindre plus de deux mois d’emprisonnement, de torture et des amendes sur quiconque qui enfreindra les lois (qu’il possède ou qu’il utilise une autre devise) et en fonction de la somme d’argent qu’il avait dans sa possession .
La décision de faire des transactions uniquement avec les devises de Daech était annoncée il y a quelque temps, mais sa mise en œuvre effective était retardée. Daech a permis à certains commerçants et familles d’avoir une marge de mouvement financier sur les marchés sous son contrôle avec l’utilisation d’autres devises sur ses marchés. Toutefois, au cours des mois précédents, Daech avait imposé davantage de restrictions dans le commerce des métaux précieux et d’autres devises qui circulaient sur ses marchés.
D’après Abu Abdullah, cette réaction était attendue quand on considère l’embargo imposé sur les ressources financières de Daech. Par conséquent, il a besoin de grandes quantités de métaux précieux et de devises étrangères pour couvrir une partie de son déficit financier. Abu Abdallah a fait remarquer que «c’est une politique que certains pays adoptent pendant les périodes de guerres et de graves crises financières pour amasser la plus importante somme d’argent possible et de tirer le meilleur parti possible des devises étrangères dans les domaines qu’il contrôle.»
Il n’y a pas de statistiques précises sur le montant des devises collectées auprès des résidents, qu’il s’agisse de livres syriennes, des devises étrangères ou de l’or. Il n’y a pas non plus de statistiques claires et confirmées sur le nombre de personnes qui vivent aujourd’hui dans les zones contrôlées par Daech, alors que les résidents se plaignent que si la situation persiste, ils deviendront encore plus pauvres et affaiblis. Cependant, cela pouvait être l’un des objectifs de Daech, qui veut garder les civils dans les régions qu’il contrôle pour les utiliser comme boucliers humains dans ses combats, une main-d’œuvre pour aider dans les actions civiles et militaires, et une source d’extorsion financière.
Lorsque les gens quittent des zones contrôlées par Daech, ils ont souvent des devises de Daech sur eux, ce qui pose un problème pour eux et les exposent à des interrogatoires légaux où ils doivent rendre des comptes. De plus, ces devises peuvent servir de preuve contre eux et les faire condamner, comme Hassan Al-Hamdun, 32, l’a confirmé et qui a dit que «la plupart de ceux qui sortent des zones contrôlées par Daech sont obligés de se débarrasser des devises de Daech, pour préserver leur sécurité car ils craignent d’être accusé d’appartenir à Daech ou de le soutenir et de sympathiser avec le groupe.
Al-Hamdun a noté que les devises de Daech sont supposées d’être frappées d’or et d’argent. Par conséquent, ces devises peuvent représenter une certaine valeur financière de partout, mais en général, la monnaie sur les marchés et celle échangée entre les personnes est faite de cuivre, et n’a pas de grande valeur. Cela veut dire que lorsqu’ils sortiront des territoires contrôlés par Daech, ils perdront une partie de la valeur de leur monnaie car cette monnaie devient inutile, et si ils la vendent, elle vaudra moins que le prix d’achat.
Les Pays se précipitent vers Deir Ez-Zor
Trois ans après la prise de contrôle de Deir Ez-Zor par Daech, beaucoup de pays se sont précipités pour prendre le contrôle des villes de ce gouvernorat, en particulier les forces d’Assad soutenues par l’Iran et la Russie et qui ont essayé de prendre le contrôle de l’ouest de l’Euphrate, tandis que les Forces Démocratiques Syriennes (SDF), soutenues par les forces de la Coalition Internationale dirigées par les États-Unis, tentent de prendre le contrôle des parties orientales du gouvernorat.
La ruée vers cette ville est stimulée par son importance économique, mais pour d’autres raisons aussi que le chercheur Soqrat al-Alou a expliqué en disant que: «La ruée des pays vers ce gouvernorat dépend non seulement de son importance économique, mais aussi pour des raisons géopolitiques propres à chaque pays. Pour la Russie et le régime syrien, Deir Ez-Zor est une excellente occasion d’élargir la zone de leur contrôle sur le territoire syrien, de telle façon que la position de négociation du régime avec l’Opposition serait renforcée, et imposerait la solution russe qui comprend le maintien d’Assad au pouvoir pendant la période de transition, en plus de l’importance économique de cette ville pour le régime et son allié russe, qui cherchent à signer des contrats d’investissement dans le pétrole et le gaz syriens.
En ce qui concerne l’Iran, la ville est une voie alternative à la frontière d’Al-Tanf contrôlée par les États-Unis pour réaliser son projet stratégique de relier Téhéran avec Beyrouth via l’Irak et la Syrie.
Tandis que l’objectif américain est de couper la route du projet iranien à Deir Ez-Zor après Al-Tanf, en particulier dans la région d’Al-Bukamal.
Pour les États-Unis, la ville est également un lien entre les zones de son contrôle dans le nord-est de la Syrie (les zones kurdes), où plusieurs bases américaines sont déployées, dans le cadre d’une stratégie de retour militaire des États-Unis à la région après leur retrait de l’Irak.
Washington cherche à créer une zone de pouvoir qui s’étendrait depuis des frontières turques avec la Syrie et l’Irak jusqu’au Golfe Persique en passant par la Jordanie, et qui contiendrait des bases militaires américaines dans les zones habitées par les Arabes sunnites et les Kurdes, selon le chercheur. Il est à noter que le processus a déjà commencé car les États-Unis ont déjà établi environ douze bases militaires en Irak et huit bases militaires en Syrie.
Traduit en français par:
Diane Lockyer ( @dlockyer)