Deux heures en direct via Skype avec huit acteurs de la société civile de la Ghouta le 9 mars 2018 de 18 à 20 h heure de Paris
À l’initiative de CODSSY et d’Activisme pour la Syrie-France, collectif de jeunes activistes syriens et français
Les intervenants présents dans la Ghouta orientale :
– Dr Admad Boukayi : chirurgien, directeur d’un centre médical
– Dr Sakher Al Dimashki, ancien directeur régional de la santé dans la banlieue de Damas
– Dr Ayman Issa : médecin urgentiste (interventions sur le terrain)
– Abou Firas al-Hiraki : membre de la défense civile (Casques blancs)
– Zeynab : activiste civile dans les abris
– Zouhair al-Nomr : membre du Conseil local de Kafarbatna
–Seifo al-Akili : président du Conseil local de Houtaytet Al Turkman
– Amer al-Mohibany @amer_almohibany, journaliste citoyen travaillant pour l’AFP.
Et, à Paris, Majd al-Dik, militant de la Ghouta, auteur avec Nathalie Bontemps de A l’est de Damas, au bout du monde, Don Quichotte, 2016 et fondateur de l’ONG Source de vie
Ce sont des acteurs de la société civile, ils n’appartiennent à aucun groupe armé. Ils travaillent uniquement dans l’administration de la vie civile, dans l’éducation, les hôpitaux… Les membre des Conseils locaux ont été élus démocratiquement. Voici la vidéo de la conférence de presse, avec en arrière-plan le bruit des roquettes et des bombes
https://www.facebook.com/active.now.4syria/videos/1679146218819930/
Les organisateurs nous ont apporté le lendemain une précision par courriel. Une question a été posée après la conférence Skype, « Où sont-ils ? D’où parlent-ils ? » La réponse donnée n’était pas claire : les intervenants de La Ghouta ne parlaient pas depuis un abri en sous-sol, ils étaient dans le centre médical de Saqba dans la Ghouta orientale, créé en 2013 par l’ONG médicale Save a Soul
https://www.facebook.com/1save.a.soul/
et Alseeraj for Development and Healthcare
Ce centre se situe au rez-de-chaussée d’une immeuble de cinq étages dont les trois derniers ont été détruits par des bombardements. Les décombres forment une sorte de protection pour le centre qui est en dessous. Les intervenants étaient dans la salle de formation, la connexion Internet se faisait via satellite. L’électricité provenait d’un générateur électrique, le seul à leur disposition. Celui-ci fonctionne au fuel, une denrée encore plus rare que la nourriture et l’eau potable dans la Ghouta assiégée.
Les intervenants ont pris énormément de risques pour être avec nous hier soir. Vous entendiez les bombardements autour d’eux, certains venaient de loin et il était dangereux de se déplacer. Ils ont arrêté leur travail, des médecins, un casque blanc, un membre et un président des Conseils locaux… Ces personnes sont également des gens importants de la société civile, il n’était pas prudent pour eux d’être tous réunis au même endroit. Mais ils voulaient délivrer leur message et votre présence leur a apporté un peu d’espoir. Certes ils n’attendent rien de la communauté internationale mais cela n’empêche pas qu’ils veulent être entendus, ils veulent que le monde sache ce qu’il se passe dans la Ghouta.
Une leçon d’humanité
Impressionnée par leur calme, leur détermination, leur dignité, j’ai retenu de leurs interventions successives ces propos que je résume ici sans respecter l’ordre d’apparition à l’écran.
Dr Sakher Al Dimashki, ancien directeur régional de la santé dans la banlieue de Damas
« La Ghouta orientale vit ses plus sombres jours depuis le début de la révolution. Cinq années de siège l’ont épuisée. Nous manquons d’anesthésiants, de pansements, de médicaments. On arrive parfois à souhaiter qu’un patient pour lequel on ne peut plus rien meure pour pouvoir en aider un autre. »
Zeynab : activiste civile dans les abris
« Dans les abris, l’espace est restreint et il n’y a pas de toilettes. Impossible d’emmener les enfants malades vers les centres de soins. Les femmes enceintes accouchent dans des conditions extrêmement difficiles. De ce fait, il y a des enfants morts nés. Les femmes se privent de boire pour ne pas avoir trop de besoins. Les enfants, qui ne vont plus à l’école depuis six mois, ont envie de revoir le soleil, de prendre l’air, de jouer dans la rue…Ils sont plus de 80 000 dans les abris. Terrifiés, ils pleurent, ils crient, ils font leurs besoins sous eux et ils restent comme ça, souillés.
Chaque personne mange une tranche de pain toutes les 72 h. Aucun convoi humanitaire ne nous est parvenu. Celui qui a atteint Douma, en début de semaine, a fait demi-tour à cause des bombardements. De toute façon, nous ne voulons pas de convois humanitaires. Ce que nous voulons, c’est la levée du siège et l’arrêt des bombardements. Et nous ne voulons pas partir. »
Zouhair al-Nomr, membre du Conseil local de Kafarbatna
« Nous utilisons les sous-sols des immeubles détruits comme des refuges mais ils n’ont pas été conçus pour servir d’abris. Leur nombre est insuffisant. Dans 60 m2, il peut y avoir 80 enfants et leurs mères et, même s’il y a des toilettes, il n’y a pas d’eau ni d’électricité. De plus, nous sommes obligés de boucher les soupirails, quand il y en a, pour éviter que les bombes incendiaires et les bombes au chlore ne passent au travers. »
« Nous avons perdu trois membres du Conseil local qui se rendaient à une réunion. Nous ne pouvons plus assurer nos activités. Toute forme de vie est paralysée à la Ghouta. Les contacts entre les membres d’une même famille sont coupés, d’un Conseil local à l’autre aussi. Les Conseils locaux n’ont plus de contacts avec les militaires non plus. À ma connaissance, l’unique point de passage avec Damas est contrôlé par le régime dans les deux sens. »
Seifo al-Akili, président du Conseil local de Houtaytet Al Turkman
« Notre ville a été vidée de ses habitants il y a cinq ans. Les déplacés continuent de l’être. La semaine dernière, la population de quatre villages a encore été déplacée. Nous ne voulons pas être déplacés car nous avons déjà été déplacés à l’intérieur de la Ghouta. Combien faudra-t-il de victimes pour que le monde se penche sur le sort de la Ghouta ? »
Dr Ayman Issa, médecin urgentiste
« Avant l’escalade, 1 000 personnes avaient besoin d’être évacuées. Depuis l’escalade, 7 000 personnes ont besoin d’être évacuées. Nous observons des cas de malnutrition extrême chez les enfants. Les mères de nourrissons n’ont plus de lait, elles ne peuvent plus allaiter. Le régime a confisqué le matériel médical dans les convois humanitaires. Face à la faim, aux blessures, aux chocs psychologiques dus aux décès survenant dans leur famille, très souvent, nous sommes impuissants. Nous ne parvenons pas à prodiguer les soins qui répondraient aux besoins. La Ghouta est devenue comme une immense prison pour satisfaire le désir sanguinaire du criminel. »
Abou Firas al Hiraki, responsable de la formation chez les Casques blancs
« Nous sommes 250 Casques blancs dans la Ghouta orientale. Nous avons perdu cinq des nôtres. Nous travaillons sans notre matériel technique faute de pouvoir circuler dans les rues défoncées, à mains nues, 20 h d’affilée en dormant une ou deux heures sur les lieux où nous intervenons. Lors de nos opérations, nous entendons les voix des gens sous les décombres pendant un ou deux jours. Le troisième jour, elles se taisent. Il y a deux jours, à al-Hamouriyah, nous avons dû faire face à une attaque au chlore sans brancards, sans ambulances. Nous avons porté les blessés. Pour ce qui est de moi, je ne demande rien à personne. »
Amer al-Mohibany, journaliste citoyen travaillant pour l’AFP
« Nous sommes trois groupes de journalistes dans la Ghouta .Parfois nous posons nos appareils pour secourir les blessés. Parfois, nous ne parvenons pas à les secourir. Avant-hier, je pleurais au lieu de photographier. »
« L’AFP a recueilli le 7 mars des témoignages de personnes atteintes par des bombes incendiaires, du napalm, du chlore. Il y a eu un massacre à Misraba. Le 8, il y a eu des personnes brûlées vives à al-Hamouriyah et à Sakba. En ce moment, des avions russes bombardent. Nous sommes en face d’un génocide. Et nous allons être poussés au désespoir si nous constatons que les images et les informations que nous vous envoyons ne peuvent faire quelque chose. »
Dr Sakher Al Dimashki
« Chacun de nous a sa sensibilité, ses rêves et ses espoirs. C’est une honte de nous donner le choix entre partir ou mourir. Notre appel au monde est simple : “arrêtez le crime au lieu de traiter ses conséquences. La résolution 2401 de l’ONU qui prône une trêve est respectée cinq heures par jour. Les 19 h restantes sont dédiées à la destruction et à la mort…Cassez ce siège, arrêtez ce crime ! »
Claire A. Poinsignon
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