Comité Syrie-Europe, après Alep
Syrie – Bulletin d’information n°7
Novembre 2018
Réfugiés syriens : les conditions du retour
Si les 21 millions d’habitants de la Syrie représentent moins d’un pour cent de la population mondiale, un tiers des réfugiés à travers le monde sont syriens. Depuis 2011, plus de 5,8 millions de personnes ont fui le pays, principalement en Turquie (3,3 millions), au Liban (1 million) et en Jordanie (650 000). Tandis qu’en Europe, ils sont un million. http://syrianrefugees.eu/
Ces flux de réfugiés déstabilisent les autres pays de la région, remettent en cause les politiques mondiales en matière d’asile et de migration et alimentent une réaction populiste en Occident qui mine la démocratie libérale. Il n’est donc pas surprenant que la plupart des discussions internationales n’envisagent qu’une seule solution : renvoyer en Syrie tous les réfugiés une fois le conflit terminé. Les différentes négociations de paix en cours – telles que le processus de Genève, parrainé par l’ONU, et les pourparlers d’Astana, coparrainés par la Russie, l’Iran et la Turquie – tiennent pour acquis que les réfugiés rentreront volontairement chez eux. Ce ne sera pas si simple.
Les réfugiés syriens savent ce qu’ils veulent mais sont pris en tenaille
En avril 2018, dans un rapport intitulé « Des voix non entendues: ce dont les réfugiés syriens ont besoin pour rentrer chez eux » (Unheard Voices: What Syrian Refugees Need to Return Home)
Le Carnegie Middle East Center a publié les résultats d’un travail de recherche réalisé sur une période de dix-huit mois entre le Liban et la Jordanie auprès de réfugiés syriens. Ce projet qui a pour but de comprendre le point de vue des réfugiés face au retour, constitue le plus grand sondage réalisé auprès de cette population. Il permet de cerner ce que signifie vraiment le retour pour eux. Entre janvier et décembre 2017, les membres du projet ont établi les caractéristiques démographiques, organisé une quarantaine de débats, ainsi que des ateliers fermés.
Le rapport décrit la situation actuelle en termes particulièrement sombres.
• Face aux difficultés économiques et sociales croissantes, les réfugiés se sentent pris au piège entre des pays d’accueil qui ne veulent pas d’eux et une Syrie où ils ne peuvent pas retourner.
• Ils sont pessimistes quant aux perspectives d’un accord de paix en Syrie. Ils rejettent toutes les propositions susceptibles d’entraîner la fragmentation de la Syrie, s’opposent à l’idée des « zones de désescalade » (instrumentalisées par le régime pour sa reconquête) et n’ont aucune confiance dans les soi-disant « zones de sécurité ».
• Ils conditionnent leur retour à des garanties de sécurité dont ils ne croient pas qu’elles soient réalisables sans une véritable transition politique, une perspective à laquelle ils ne croient plus dans le court terme
• Ils n’ont aucune confiance dans les acteurs politiques impliqués en Syrie et la plupart des réfugiés anti-régime ne croient pas que l’opposition les représente véritablement.
• Les femmes et les jeunes hommes se sentent particulièrement vulnérables car ils sont plus encore que les autres exposés aux représailles et persécutions du président Bachar al-Assad. Beaucoup parmi les jeunes hommes craignent la conscription.
• La guerre se prolongeant et les conditions dans les pays d’accueil s’aggravant, un nombre croissant de réfugiés souhaiteraient se réinstaller en dehors de la région, notamment en Europe, si ce n’est qu’ils craignent qu’une fois partis, il devienne encore plus difficile ensuite de revenir.
• La notion de « retour volontaire » est en train de perdre son sens. Au Liban et en Jordanie, des politiques restrictives peuvent forcer les réfugiés à retourner dans un environnement dangereux, tandis que les politiques du régime en Syrie – sur le logement et les droits de propriété, la conscription militaire et les procédures de contrôle – rendent difficile, et même indésirable, leur retour.
L’étude passe ensuite en revue les mesures politiques favorables au retour des réfugiés.
• Un retour sûr et durable des réfugiés nécessite un cadre qui prenne en compte les racines politiques de la crise syrienne, affirme que la paix n’est pas possible sans justice et reconnaisse le droit des réfugiés à retourner dans leur région d’origine.
• La sécurité ne peut être garantie que par un processus politique qui crée des mécanismes de gouvernance inclusifs, mette fin à l’impunité criminelle, et facilite la réintégration, la démilitarisation et l’accès à la justice.
• Les efforts pour préparer les réfugiés à un retour doivent commencer dès maintenant et pourraient inclure la création d’une équipe d’avocats et de juristes syriens pour les informer de leurs droits et aider à résoudre les nombreux conflits locaux anticipés (droits de propriété, etc.), ou celle d’un réseau de médiateurs communautaires de confiance.
• Le financement de la reconstruction ne doit en aucun cas permettre de renforcer le régime despotique d’Assad. Commencer par des efforts de reconstruction à l’échelle locale dans des régions qui ne sont pas sous le contrôle du régime serait une meilleure alternative.
• Tout financement devrait également être subordonné au retour des réfugiés chez eux et à la restitution de leurs biens. Un processus de vérification devrait être mis en place pour garantir que les entités locales bénéficiant d’un financement international n’ont pas été impliquées dans des crimes de guerre et ne constituent pas des avant-postes du régime.
• En attendant des retours possibles et volontaires les pays d’accueil doivent adopter des politiques qui respectent le droit d’asile et répondent aux besoins fondamentaux des réfugiés. Pour cela, l’aide internationale doit inclure en plus d’une aide humanitaire, des investissements économiques axés sur la création d’emplois pour les ressortissants et les réfugiés du pays hôte.
Dans un reportage, intitulé Sortie dangereuse : qui contrôle le retour des Syriens au Liban ? , Charlotte Alfred, rédactrice en chef du site Newsdeeply, documente la situation difficile des réfugiés au Liban, évoque les calculs politiques d’Assad et confirme la peur qu’elle génère chez les réfugiés. Rentrer, c’est prendre un risque politique. La crainte des arrestations, de la torture, de la conscription obligatoire et les difficultés de réintégration dans une société et une économie fracturées par la guerre, n’est pas effacée, et encore moins dépassée, par les difficultés rencontrées dans les pays de refuge : pauvreté croissante, chômage, absence de documents officiels et de scolarité, risque d’arrestation etc. Mais l’hostilité et la pression pour les renvoyer en Syrie ne font que croitre.
Les déplacés de l’intérieur, entre camps et « zones tampons »
La population des déplacés de l’intérieur en Syrie s’élève à 6 millions de personnes. Le site Syria Direct, en association avec la Fondation Konrad Adenauer, a publié du 28 août au 8 octobre, en cinq volets, les résultats d’une enquête menée sur le terrain avec le concours de jeunes journalistes syriens, eux-mêmes déplacés.
Malgré le contexte défavorable des camps où les déplacés trouvent refuge , ces Syriens sont parvenus, en ne comptant que sur leurs propres force, à recréer un semblant de vie normale, avec des écoles et des centres de soins. Ces camps s’intègrent désormais dans le paysage fragmenté du pays.
Premier volet–Le commencement, pas la fin : quelles sont les perspectives de retour pour les déplacés internes en Syrie?
Deuxième volet–Si le calme persiste : après un accord sur le sort du nord-ouest de la Syrie, des civils déplacés rentrent prudemment chez eux dans la zone tampon proposée
Troisième volet –Qui vous a laissé vivre dans cette maison ? À Afrin, des rebelles soutenus par la Turquie s’emparent de maisons et expulsent des Syriens déplacés
Quatrième volet–Malgré les rumeurs de retour, les Syriens déplacés à Rokbane restent « pris en étau » entre la frontière fermée et la géopolitique
Cinquième volet–Reportage photo : des Syriens déplacés dans le camp de Rukban construisent un système éducatif à partir de zéro
Source : Ce bulletin d’information a été réalisé par Marc Hakim et Claire A. Poinsignon (avec la collaboration d’Emeline Hardy)
Parution originale sur : https://esprit.presse.fr/actualites/comite-syrie-europe-apres-alep/refugies-syriens-les-conditions-du-retour-41809