Titre : Non-violence dans la révolution syrienne.
Auteur(s): Collectif, textes présentés par Guillaume Gamblin et Pierre Sommermeyer.
Editeur : Les éditions libertaires. (Février 2018).
Ce petit ouvrage, composé d’un recueil de textes d’auteurs divers, met en lumière une dynamique de la Révolution syrienne encore plus occultée que l’abondante production littéraire qui a suivi la libération de la parole dès mars 2011. Il évoque ainsi les actions citoyennes pacifistes, très vite réprimées, qui se sont épanouies en plongeant leurs racines dans des démarches bien antérieures à mars 2011.
Les auteurs ont sélectionné des textes judicieusement choisis qui offrent une vision d’ensemble de ces luttes citoyennes non-violentes qui n’ont bénéficié de quasiment aucun soutien depuis l’extérieur de la Syrie.
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Par Fred Breton.
Le livre comprend 4 chapitres, dont une introduction, et 11 textes traduits sur 116 pages .
Introduction
En préambule, les auteurs de l’ouvrage posent le contexte tel qu’il se présente en mars 2017 : 450 000 morts, 15 000 exécutés en prison et 7 millions de réfugiés externes. Les répercussions du drame syrien se font sentir dans toute l’Europe en termes sécuritaires qu’ils soient liés au terrorisme ou à l’afflux de réfugiés. La géopolitique froide, qui a intégré le narratif du régime de Damas, ne s’exprime plus guère qu’en termes de luttes de factions et occulte le blanc-seing donné à Assad pour massacrer son peuple impunément. Les traitements médiatiques dominants ont cessé d’étudier depuis longtemps les dynamiques citoyennes pour se concentrer sur les aspects martiaux de la situation.
Les auteurs entendent montrer, en mettant à l’honneur le rebelle syrien, que la « Question syrienne » ne se résume pas à un affrontement de factions où dominent Assad, les djihadistes et les groupes armés. Si elles ont dû, par la force des choses, laisser la place aux armes en raison de la répression massive du Régime dès mars 2011, les initiatives citoyennes constituent le coeur même et l’essence initiale de cette Révolution oubliée.
Action non-violente
Textes proposés : 2 anonymes publié sur Syria Untold (19 décembre 2013 et 20 Mars 2015), Julia Taleb (août 2014), collectif de Syria Untold – Humans of Syria et Radio Souriali, Elleke Bal,
Ce chapitre, sans prétention à un recensement exhaustif, balaye les principales initiatives basées sur la non-violence qui s’exprimèrent à travers tout le pays. Le rôle des femmes y est particulièrement mis en évidence.
A Darayya, foyer d’un mouvement pacifiste historique, un groupe de femmes appelé « Les femmes libres de Darayya » s’est très vite engagé dans un travail de terrain en vue de libérer des prisonniers et d’organiser des manifestations. Elles organisaient des ateliers de communication, de photo, aide humanitaire et psychologique ? Nombre d’entre elles sont mortes d’autres en exil ou en prison qui continuent la lutte. Le journal local « Enab Baladi » publie encore aujourd’hui.
Non loin de Kafranbel, à Mazaya, les femmes s’organisèrent également pour des actions tournées vers leur autonomisation. Cette lutte pour les droits les opposa aussi bien au Régime qu’aux groupes radicaux qui se disputèrent le contrôle du grand Idleb. Malgré les destruction, elles ne cessèrent de poursuivre leur lutte visant à affirmer la place des femmes dans la société.
Le tournant vers la lutte armée et l’enlisement ont favorisé la montée en puissance des groupes djihadistes, mieux équipés et financés. Les révolutionnaires pacifistes ont dû alors faire face à un nouvel ennemi et se sont retrouvés pris entre deux feux.
C’est à Raqqa que Daesh se montre le plus agressif et efficace. La brève période de libération y tourne très vite au cauchemar. Le collectif Raqqa Is Being Slaughtered Silently (RBSS) se créé dans ce contexte et documente les crimes du Califat. Ailleurs en Syrie, comme à Alep ou Manbij, les citoyens s’organisent pour évacuer Daesh avec pour seul mot d’ordre « Seuls les syriens libèrent la Syrie. ».
Les initiatives ont également pu venir du citoyen agissant seul. Ainsi, à Douma, le vendeur de fleurs devient photographe et documente, à l’instar de nombreux jeunes, le quotidien fait de massacres.
A Damas, corsetée par les shabihas et les forces de l’ordre, l’architecte Ahmed Zaino mobilise son entourage autour d’actions non-violentes : déverser des balles de ping-pong, cacher des hauts-parleurs dans les arbres ou colorer les fontaines de la ville en rouge-sang.
A Salamiye, c’est le mouvement « The Street is ours » qui refuse le choix des armes et défile dans les rues, sans pancartes, ni slogans pour destabiliser les forces de l’ordre. Victimes de la brutalité de la répresssion, ils cesseront toute activité mi-2012.
Auto-organisation
Textes proposés : Budour Hassan (20 février 2013), Leïla Shrooms traduite par Manuel Sanchaise (23 août 2013),
L’auto-organisation fut l’une des plus importantes initiatives civiles de la Révolution Syrienne. C’est Omar Aziz, intellectuel expatrié revenu en Syrie à la faveur du soulèvement, qui posa les bases et initia les Conseils locaux (Tansiqiyyat). A peine la Révolution entamée, il théorisait ces organismes citoyens dont l’objet était de s’affranchir de l’État pur administrer le collectif. Sa volonté était de donner la possibilité aux individus de s’exprimer pleinement et de s’impliquer dans les décisions. Pour lui, les Conseils locaux doivent se consacrer à : la promotion de la solidarité humaine et civile, l’encouragement d’une coopération, les contacts avec l’Armée Syrienne Libre (ASL) et la réciprocité des relations entre la protection et la défense de la communauté et la continuité de la révolution, la composition des conseils locaux et leurs structures organisationnelle, le rôle du conseil national.
Comparé à l’échec total de l’opposition politique syrienne, la dynamique révolutionnaire a été créative et les Conseils locaux sont l’héritage le plus abouti de ce processus d’émancipation.
Les réussites sont cependant très diversifiées et le contexte local a fortement pesé sur les succès et les échecs. Les principaux ennemis des Tansiqiyyat furent bien sûr le Régime de Damas mais également les divers groupes armés de toutes obédiences.
Arrêté le 20 novembre 2012, Omar Aziz est mort le 17 février 2013, il allait avoir 64 ans.
Analyses
Textes proposés : introduction à un rapport produit par l’ONG Dawlaty, Leïla Al-Shami (octobre 2013 et 6 avril 2015), Donatella Della Ratta (20 avril 2012) et Fadwa Suleiman.
En 2013, le mouvement pacifiste civil est progressivement éclipsé par la militarisation de la situation qui prend en sus une dimension internationale. Les militants, en Syrie comme à l’étranger, tentent de préserver l’essence de ce mouvement. Une étude réalisée par l’ONG Dawlaty a fait s’exprimer 129 militants sur ce mouvement civil dont la dynamique a été particulièrement notable dans un pays corseté depuis plus de 40 ans (Coup d’état de Hafez Al-Assad). Lorsque l’étude est réalisée, en 2013, la société civile est en passe de se structurer alors que le mouvement civil tend à s’amenuiser.
La disparité des situations géographiques et des contextes locaux n’a pas permis l’émergence d’une stratégie globale et cohérente au niveau national. Les militants interrogés font alors ressortir l’impérieuse nécessité de préserver les objectifs de la Révolution pour la faire perdurer.
Les initiatives de structuration furent pourtant nombreuses. A côté de la construction de dynamiques partisanes ou religieuses, les mouvements civils indépendants ont foisonné.
Les Conseils locaux ont été évoqués plus haut. Il en a été dénombré jusque 128 en 2013. Des tentatives de coordination ont vu le jour à travers les Comités Locaux de Coordination, le Comité d’Action Nationale et la Commission Générale Syrienne de la Révolution. Leur volonté a été d’agir par la désobéissance civile, l’information et l’aide sociale ou humanitaire en refusant la lutte armée .
D’autres groupements se sont également structurés comme la Coalition de la Jeunesse Révolutionnaire Syrienne, le Syndicat des étudiants libres Syriens et le Mouvement des Jeunes Kurdes. Les femmes ont été très actives dans l’ensemble de ces mouvements avec toutefois des difficultés causées par la militarisation et les contraintes sociales.
Un autre acquis de la Révolution aura été l’explosion des médias indépendant (59 en 2013). Création de vidéos, promotion de la non-violence, organisation des actions, témoignages, photos etc., Ces médias s’appuient sur le bénévolat pour agir dans des contextes financiers très tendus.
En 2015, et cela reste valable aujourd’hui, la Révolution syrienne pouvait être considérée comme « page 96 ». Le pays compte alors 210 000 morts, 840 000 blessés, 150 000 prisonniers, 12 millions de déplacés et 650 000 assiégés. Assad a été soutenu par l’Iran et la Russie. Certains groupes armés, notamment islamistes et djihadistes, ont été soutenus par les monarchies du Golfe ou la Turquie. Le soutien occidental a été globalement limité ou inexistant. Si de dynamiques internationales solidaires ont vu le jour, elles se sont concentrées sur « les Kurdes » et leurs modes d’auto-administration gérés par le PYD.
L’engagement aux côtés des révolutionnaires syriens a été limité à une frange très étroite et marginale. Pire, les théories conspirationnistes servies par la propagande ont fait florès et laissent à penser que les dynamiques citoyennes en Syrie ont été initiés par les occidentaux.
Le mot de la fin est laissé à une grande figure de la révolution, l’actrice Fadwa Souleiman, exilée en France et décédée le 17 août 2017 :
« Au lieu de participer à mon histoire sur place, je le fais sur le papier, par procuration. Mon rêve, notre rêve, est devenu cauchemar. Tout ce que je craignais pour la Syrie est en train d’avoir lieu. On se trouve acculés à une intervention militaire. Ce n’est pas le choix du peuple. »
Crédits photos : Toutes les illustrations, également utilisées dans le livre, proviennent du site : http://revolutionartnow.altervista.org/creative-memory-syrian-revolution-murals/
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