Depuis 1970, avènement d’Hafez Al-Assad, la Syrie était un pays confiné. Le maillage serré des services de renseignement et l’emprisonnement comme mode de gouvernance enfermaient les esprits, les corps et les âmes. La révolution de mars 2011 a libéré la parole et une véritable énergie créatrice s’est exprimée à travers un foisonnement d’innovations citoyennes, d’expressions artistiques et intellectuelles. La répression brutale du régime Assad conjuguée à une inertie de la communauté internationale a projeté les Syriens dans un autre confinement.
Arrêtés arbitrairement, déplacés loin de chez eux sur le territoire syrien, réfugiés à l’étranger, survivant dans leurs villes tenues par le régime Assad… Quelles que soient leurs situations, les Syriens sont très peu entendus et vivent une nouvelle forme de confinement et d’enfermement dont le premier est, à nos yeux, l’indifférence.
La visibilité croissante de journaux de confinement « bourgeois » de personnalités qui croient vivre une soudaine apocalypse a motivé Nina Khokha, artiste syrienne originaire d’Alep, pour écrire et dessiner des histoires, vraies ou inspirées de plusieurs histoires vraies, qui racontent ces enfermements ignorés voire méprisés : celle de Syriens d’aujourd’hui plongés en pleine apocalypse. Nous lui ouvrons nos pages, en la remerciant.
Voici leurs histoires :
Les confinés . Jour 5 : Ahmad et Zachary
المحظورين : أحمد و زكريا
Par Nina Khokha.
Ahmad le syrien est un philosophe. Il a fait la majorité de ses études de philosophie en Syrie, puis il a complété son doctorat en France, où il a rencontré Maude, une québécoise dont il est tombé amoureux. Il l’a suivie au Québec.
Au Québec, Ahmad a cumulé les petits boulots, que faire d’un doctorat en philosophie, de surcroit quand on est immigrant ?
Pourtant Ahmad est un homme extrêmement cultivé, à la plume incisive et profonde. Ses écrits en arabe sur les réseaux sociaux sont suivis par des centaines de syriens à travers le monde.
Il y a quelques années, Ahmad a adopté un petit garçon québécois. Zachary avait 2 ans et demi quand Ahmad l’a vu pour la première fois. Aujourd’hui, Zachary a 8 ans, Ahmad et Maude n’étant plus ensemble, il va chez son papa une semaine sur deux.
Ensemble, père et fils font les quatre cent coups, ou la sieste, c’est selon. Parfois, ils parlent des filles, comme de vieux potes. À tous les coups, ils se sont trouvés.
La famille de Ahmad est encore en Syrie. Et ses vieux parents ont vu leur maison s’écrouler sous les raids aériens cette année.