Depuis 1970, avènement d’Hafez Al-Assad, la Syrie était un pays confiné. Le maillage serré des services de renseignement et l’emprisonnement comme mode de gouvernance enfermaient les esprits, les corps et les âmes. La révolution de mars 2011 a libéré la parole et une véritable énergie créatrice s’est exprimée à travers un foisonnement d’innovations citoyennes, d’expressions artistiques et intellectuelles. La répression brutale du régime Assad conjuguée à une inertie de la communauté internationale a projeté les Syriens dans un autre confinement.
Arrêtés arbitrairement, déplacés loin de chez eux sur le territoire syrien, réfugiés à l’étranger, survivant dans leurs villes tenues par le régime Assad… Quelles que soient leurs situations, les Syriens sont très peu entendus et vivent une nouvelle forme de confinement et d’enfermement dont le premier est, à nos yeux, l’indifférence.
La visibilité croissante de journaux de confinement « bourgeois » de personnalités qui croient vivre une soudaine apocalypse a motivé Nina Khokha, artiste syrienne originaire d’Alep, pour écrire et dessiner des histoires, vraies ou inspirées de plusieurs histoires vraies, qui racontent ces enfermements ignorés voire méprisés : celle de Syriens d’aujourd’hui plongés en pleine apocalypse. Nous lui ouvrons nos pages, en la remerciant.
Voici leurs histoires :
Les confinés, jour 8 : Maram.
المحظورين : مرام
Par Nina Khokha.
J’écris et je trace Maram la main tremblante. Maram, on ne la saisit pas, elle est comme de l’eau claire qui fuit entre vos doigts. Alors je choisis l’aquarelle, et une pétale de rose pour lui faire des ailes. Maram, on ne sait jamais tout à fait où elle est, entre les mots, entre les lieux, entre Maram et son ombre il y a un siècle et un monde.
Mais comme elle est poète, elle a l’élégance d’habiller ce gouffre de mots simples et de plumes d’oiseaux.
Maram, l’exilée, cache sa solitude sous le tapis avant de vous sourire, de vous envoûter plutôt et ce n’est que générosité, rien qu’une main tendue, de celles qui ont taquiné l’enfer et en sont revenues, menaçant le monde d’un oiseau blanc, une colombe qu’elle vous pose sur le coeur, comme elle aurait voulu être posée, doucement, quelque part qui serait chez elle, qu’elle pourrait oublier puisqu’elle et ce lieu ne feront qu’un, enfin.
Maram, l’exilée, est une âme qui danse pieds nus, toujours sur un fil tendu, elle a la beauté scandaleuse d’une fleur qui s’ouvre sans bruit…et qui pleure.
Maram la syrienne, partie depuis longtemps avec ses ailes de papier froissé sur le dos.
Maram la colombe blanche qui regarde en arrière. Elle a laissé son âme dans son sillage.
Maram, ma grande soeur, elle va nue ta liberté.
………
Née en Syrie le 2 / 8 / 1962, Maram Al Masri s’exile à Paris en 1982, où elle vit un double exil, celui jamais guérit de sa Syrie et celui, cruel, de l’arrachement de son enfant pendant treize ans. Sa poésie, saluée par la critique des pays arabes et traduite dans de nombreuses langues, fait d’elle une des grandes voix féminines du Moyen-Orient.
« Elle va nue la liberté, sur les montagnes de Syrie, dans les camps de réfugiés. Ses pieds s’enfoncent dans la boue et ses mains gercent de froid et de souffrance. Mais elle avance ». (Maram Al Masri, poétesse syrienne, dans «Elle va nue la liberté»).