Un cri depuis Raqqa

Scène de rue à Raqqa - Janvier 2021 Auteur anonyme - Reproduction interdite

Après une brève période de libération, suite à l’éviction du régime Assad de la ville de Raqqa en mars 2013, celle-ci tombe intégralement sous la coupe de l’État Islamique en janvier 2014. Commence alors pour les habitants une période de cauchemar dont seuls sont parvenus les échos et les images les plus atroces des horreurs commises par le groupe djihadiste. Le 17 octobre 2017 , après une longue et intense campagne de bombardements par la coalition internationale appuyée au sol par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), l’État Islamique est chassé de la ville.

Depuis lors, Raqqa et ses habitants sont sortis des radars de l’information. La ville est détruite à 80 % et les conditions de vie y sont dramatiques. L’administration sous le contrôle des FDS, une « alliance » arabo – kurde dominée par les Unités de Protection du Peuple (YPG), se révèle de plus en plus autoritaire confirmant les craintes initiales des habitants.

La peur n’est pas partie avec l’État Islamique et il est essentiel de partager les quelques témoignages en provenance de cette cité.

Ahmed, dont le nom a été changé, s’est ainsi confié à Syrie News pour que nous puissions publier son témoignage avec l’espoir qu’il puisse être entendu.

Scène de rue à Raqqa – Janvier 2021
Auteur anonyme – Reproduction interdite

Un cri depuis Raqqa

Je vous écris depuis Raqqa.

Cette cité millénaire où les jeunes comme moi ne peuvent plus supporter leur situation tragique. Comme des milliers d’autres, fin 2017 j’ai refusé de quitter ma ville de Raqqa après sa destruction à plus de 80% par les frappes aériennes de la Coalition Internationale et les partisans de l’Etat Islamique. Aujourd’hui, nous voulons reconstruire notre ville mais dans tous les secteurs la situation est catastrophique.

En ce moment nous devons faire face à une campagne de recrutement militaire obligatoire lancée par les FDS, les Forces Démocratiques Syriennes ( ndr : Alliance à majorité kurdes) qui contrôlent la ville. Ils ont installé des points de contrôle partout dans la ville de Raqqa ( ndr ville à majorité arabe) , et plus seulement aux entrées de la cité. Ils arrêtent tous les jeunes hommes qui sont nés entre 1990 et 2002 pour les envoyer de force dans des camps d’entrainements où ils doivent effectuer leur service militaire obligatoire. Mais, nous ne pouvons pas arrêter de travailler et abandonner nos familles pour aller apprendre à combattre !

Raqqa est encore détruite à plus de 50%, la plupart d’entre nous ne posséde pas de logements et loue chaque mois une habitation.

Moi, Ahmed j’ai 29 ans, je suis marié et j’ai une petite fille. Je dois aussi m’occuper de ma mère, de mon père et subvenir aussi à leurs besoins. Mes autres frères et sœurs sont encore étudiants.

Ce recrutement obligatoire n’épargne personne, même pas les jeunes qui travaillent avec les autorités locales du Conseil Civil de Raqqa. Les enseignants aussi sont concernés …s’ils refusent de rejoindre ces camps d’entrainements militaires leurs salaires sont suspendus, et s’ils s’obstinent, ils seront licenciés. 
Alors aujourd’hui, moi Ahmed qui ait refusé de fuir ma ville, pour rester même sous la terreur imposée par Daech, je suis désespéré. Comment pourrais-je avoir de l’espoir face à une situation si mauvaise? Tous ces jeunes syriens, ces jeunes raqqawis, qui sont envoyés de force au service militaire, ils sont l’avenir de cette ville. Nous sommes capables de reconstruire Raqqa pour lui donner un futur. 
Je vous écris aujourd’hui de chez moi où je suis coincé, assigné à résidence comme dans une prison. Je ne peux pas sortir pour aller faire des courses ou juste prendre l’air, ils arrêtent des jeunes partout dans la ville. C’est donc ma femme qui chaque jour se rend seule au marché pour acheter de quoi nourrir notre famille…Depuis quelques jours, ma fille est malade mais à cause de ce recrutement militaire forcé je ne peux pas l’emmener chez un médecin. La survie de ma famille repose aujourd’hui uniquement sur les épaules de ma femme. 

Un témoignage recueilli par Syrie News, mars 2021.