Fiche de lecture – Un moine en otage de Jacques Mourad et Amaury Guillem

Titre : Un moine en otage. Le combat pour la paix d’un prisonnier des djihadistes.

Auteur(s) : Jacques Mourad avec Amaury Guillem.

Editeur : Editions Emmanuel.

Jacques Mourad, moine et prêtre syriaque catholique du monastère de Mar Elian en Syrie, a passé 5 mois, entre mai et octobre 2015, prisonnier du « mal nommé Etat Islamique » (DAESH pour l’acronyme arabe). Dans son livre, il raconte l’épreuve de la captivité lors de laquelle il a puisé dans sa foi en Dieu pour trouver la force pour supporter les mauvais traitements et sublimer cette incarcération en une expérience quasi mystique. Libéré par les djihadistes en raison de son choix affirmé pour la non-violence, il plaide depuis lors avec ferveur en faveur de la Paix universelle et pour l’amitié entre chrétiens et musulmans.

Couverture – Un Moine en otage
Jacques Mourad et Amaury Guillem

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Au fil des 217 pages, annexes et introduction incluses et par ailleurs agrémentées de quelques photos, le Père Jacques Mourad, assisté dans l’écriture par Amaury Guillem, raconte son histoire personnelle en s’appuyant sur son enlèvement et son incarcération par Daesh. Le livre est écrit à la première personne, dans un style finalement sans grand relief mais qui reste agréable à lire. L’une des difficultés à entrer dans le récit est que celui-ci est émaillé de considérations spirituelles religieuses qui, lorsque l’on n’a pas ces convictions, rendent la lecture quelque peu rébarbative et obligent à parcourir certains passages en diagonale afin d’achever l’ouvrage.

Sur le fond le discours prône une tolérance mutuelle entre chrétiens et musulmans avec une force de conviction sincère et perceptible. En ces temps où le récit dominant, notamment en Syrie, vise à exciter les tensions confessionnelles et inciter aux replis communautaires, un tel appel au dialogue inter-religieux est le bienvenu. Le Père Mourad parle également de Paix universelle, en arrivant même à éprouver une forme de bienveillance remarquable envers ses geôliers et bourreaux. Les monastères de Mar Moussa et Mar Elian étant des lieux d’accueils ouverts à tous, il se refuse à quelque prise de parti que ce soit concernant le conflit qui ravage la Syrie depuis 8 ans. Pour lui, rebelles, djihadistes ou soldats loyalistes sont des humains avant tout qui tous méritent ses soins physiques ou spirituels. Cette neutralité politique qui l’amène à ne jamais pointer les responsabilités contribue à diluer la responsabilité de la destruction de son pays bien aimé sur l’ensemble des belligérants, et ce sera peut-être le gros reproche de ce livre.

Portrait du Père Jacques Mourad
Crédit photo : CCFD Terre Solidaire.

Le livre s’ouvre très rapidement sur le récit de son enlèvement en mai 2015. Jacques Mourad est alors à Mar Elian, son monastère, où l’a rejoint sa sœur qui ne peut plus habiter Alep alors en proie à d’âpres combats entre loyalistes et armée syrienne libre. Au milieu de ce désert, qui insufflait en lui une paix intérieure, il rage et tempête contre le déchirement guerrier qui ruine son pays. Lui, refuse de prendre parti et encore moins les armes, il reste un prêtre qui considère qu’il doit aider tous ses semblables sans distinction. Cette neutralité lui vaut d’être un interlocuteur auquel tous s’adressent quel que soit leur camps. Il observe toutefois avec inquiétude la montée en puissance des groupes djihadistes qui exercent en sus un fort attrait sur certains des habitants du village de Qaryatayn. Alors qu’il se livre à ces réflexions, il est soudainement enlevé par deux djihadistes de Daesh avec Boutros, l’un de ses paroissiens.

Dans la voiture qui les emmène vers l’inconnu, il se rappelle sa jeunesse. Il est originaire d’Alep, de mère libanaise maronite et de père syriaque qui fut autrefois orthodoxe. Du côté de son père, sa famille a été victime du massacre commis par les Turcs sur les arméniens, assyriens, chaldéens et syriaques entre 1915 et 1916. Le jeune Jacques est élevé dans une ambiance très pieuse mais très ouverte en ce qui concerne les rites pratiqués. C’est d’ailleurs au sein d’une église melkite qu’un prêtre propose à ses parents qu’il rejoigne le petit séminaire au Liban. L’expérience fut de courte durée et il retrouve assez vite sa vie dans le quartier chrétien de Azizieh, à Alep. Tenté par la musique tout autant que par l’éveil de ses sens adolescents, le jeune Jacques finit tout de même par reprendre le chemin de sa vocation initiale grâce à un vieux prêtre syriaque catholique, Abouna Mounir.

4 jours durant, les 2 hommes sont enfermés dans cette voiture qui les mène vers l’inconnu. Jacques comprend que ce sont des jeunes de sa paroisse qui la conduise. Il en éprouve une sombre amertume, lui qui a toujours œuvré au rapprochement entre chrétiens et musulmans. Il reprend le fil de sa vie. A 18 ans, il entre au grand séminaire syriaque de Charfet à Harissa. A Charfet, il fait des rencontres qui vont bouleverser sa vie spirituelle : Afif Oseïran, un saint homme vénéré autant par les chrétiens que les musulmans, Gabriel Kato, prêtre syrien ainsi que Paola et Thérèse, des Petites Sœurs de Jésus qu’il avait connues à l’université, sans oublier la pensée de Charles de Foucauld. Mais c’est par son ami Jihad, séminariste syrien comme lui, qu’il fait connaissance avec l’homme qui sera certainement déterminant pour la suite : Paolo Dall’Oglio.

Le père Paolo Dall’Oglio
Disparu du côté de Raqqa depuis juillet 2013.
Photo Zrosen – Certains droits réservés.

Le jésuite a un charisme puissant et indéniable. D’origine italienne, il s’est mis en tête de restaurer, en 1982, le monastère de Mar Moussa al-Habachi, l’un des lieux de vie monastiques les plus anciens du Moyen-Orient. Il y vit et organise des chantiers bénévoles. Jacques Mourad décide de participer à l’un d’entre eux pour tomber aussitôt sous le charme des lieux, en plein désert. Profondément croyant, Paolo Dall’Oglio nourrit sa foi en puisant dans les deux religions, chrétiennes et musulmanes. C’est un fervent admirateur de l’Islam, convaincu au plus profond de lui que les deux fois ne doivent pas s’exclure mais s’enrichir mutuellement. Cette vision rebute le jeune Jacques qui finira pourtant, au détour de ses études et de ses séjours à Mar Moussa, par éprouver cette nécessité de vivre pleinement le commandement « Aimez-vous les uns les autres ».

Le voyage des captifs prend fin à Raqqa, la capitale syrienne autoproclamée de Daesh. Jacques et Boutros sont enfermés dans une prison – salle de bain où ils subissent de violentes séances de torture physique et mentale. Très étrangement le wali-al-Raqqa allège leur détention et invite Jacques Mourad à vivre celle-ci comme une retraite spirituelle. Il revient alors à sa vie passée, au moment où il décide de s’installer à Mar Moussa. Là, il se rapproche de Paolo mais éprouve encore plus en profondeur la présence de Dieu. A la faveur d’une visite épiscopale à Qaryatayn, plus précisément au monastère détruit de Mar Elian, il ressent le même coup de foudre que pour Mar Moussa. Poussé par l’évêque, il fait l’expérience d’un grand déchirement conjugué à un fort enthousiasme en décidant de quitter Mar Moussa pour aller reconstruire Mar Elian.

Le Monastère de Mar Moussa
Photo James Gordon – Certains droits réservés.

La captivité se prolonge, et Boutros et Jacques font une rencontre avec un émir de Daesh, un saoudien avec qui ils ont une discussion à cœur ouvert «agréable quoiqu’absurde » en prenant toutefois garde à ne pas aborder les notions théologiques qui pourraient vite devenir mortelles. Au 23e jour, Jacques est flagellé puis sommé par un djihadiste de se repentir et, alors qu’il a le couteau sur la gorge, la mort imminente lui fait hurler « Seigneur Jésus, prends pitié de moi pêcheur ». Étrangement, le bourreau arrête son arme et part. L’émir saoudien, furieux de ce geste qu’il n’a pas commandité, les ramène et reprend le fil de leurs conversations. A force de réflexions théologiques et de discussions avec les djihadistes, Jacques Mourad finit par éprouver une véritable compassion pour ces derniers qu’il voit comme des hommes « écartelés, entre la loi prétendument divine à laquelle ils croient devoir obéir et celle, réellement divine, enfouie au fond de leur coeur. »

Après 80 jours de captivité, Jacques découvre que la moitié de ses paroissiens de Quaryatayn a été enlevée. Ce sont les vieillards, les femmes et les enfants car l’autre moitié s’est enfuie à l’approche des hommes de Daesh. Jacques revient alors vers cette année 2000 où il lança les travaux de rénovation de Mar Elian, constatant au quotidien que le lieu est révéré autant par les chrétiens que les musulmans. En sus des travaux du monastère, le Père Jacques est le curé des 500 chrétiens syriaques de rite catholique. Avec le Père Barsoum, curé des 500 chrétiens syriaques de rite orthodoxe, il œuvre à l’unité de ces deux communautés confessionnelles qui par ailleurs vivent en parfaite entente avec la communauté musulmane largement majoritaire.

A Raqqa, les convictions religieuses des paroissiens captifs sont mises à rude épreuve par la pression psychologique que leurs imposent les djihadistes. Il vient le moment, dramatique, où Jacques Mourad est soumis à un interrogatoire serré et ramené de force à Mar Elian pour voir sa chambre fouillée. Les maisons des chrétiens seront également visitées par les djihadistes à la recherche d’armes cachées. Jacques se rappelle alors les débuts de la révolution de 2011. Il se souvient que la réaction à la violence politique poussa de nombreux syriens sur le chemin de la radicalisation islamique. A Qaryatayn, c’est l’exécution d’un jeune par les moukhabarat qui précipita une partie de la population dans la lutte armée avec la bénédiction du mufti local. Jacques Mourad tente de rester au milieu du gué, convaincu de la voie de la non-violence et de la nécessité de dialoguer avec toutes les parties en présence. L’armée syrienne finit par reprendre Qaryatayn, où après les horreurs la vie reprit son cours. La montée en puissance de ce qui s’appelle alors Jabhat al-Nosra (aujourd’hui Hayat Tahrir al-Sham) fait par ailleurs fuir des milliers de personnes qui se réfugient à Qaryatayn.

Le village de Qaryatayn sous la neige
Source inconnue via Wikimapia – Certains droits réservés

A Raqqa, Jacques Mourad et ses paroissiens vont bientôt connaître l’épilogue de leur épreuve. Parce qu’ils ont refusé de porter des armes, parce qu’ils ont décidé de rester sur la voie de la non-violence, les chrétiens de Qaryatayn seront libérés par le calife Al-Bagdadi en personne et autorisés à rentrer chez eux. Le 2 septembre 2015, à minuit, ils sont de retour et reprennent possession de leurs biens. Toutefois, entre les bombes qui pleuvent sur la ville et les exécutions des djihadistes, plus de 100 civils seront tués dans les 40 jours qui vont suivre. Jacques voit ses amis mourir, impuissant. Il ne reste d’autre salut que la fuite, pour échapper aux massacres. Aidés de citoyens musulmans de Qaryatayn qui le paieront de leurs vies, tous les chrétiens fuient progressivement la ville.

Jacques a quitté sa Syrie et son village tant aimés, il passe par Lourdes pour honorer une promesse faite à Marie. En hommage à son ami Paolo Dall’Oglio, enlevé en septembre 2013 et dont personne ne connaît le sort, il retourne célébrer une messe à Mar Moussa en décembre 2015.

A Pâques 2016, il est en Italie, dans un monastère perché au-dessus du village de Cori. Il livre alors le fruit de sa longue réflexion, torturé par les souffrances de son pays, la Syrie et ses 400 000 morts. Alors que les différentes communautés religieuses coexistaient plutôt pacifiquement en Syrie, il s’interroge sur l’évolution de pratiques en Islam qui mènent nombre de croyants à la violence. Lui est convaincu qu’il y a une forme de violence en Islam. Mais, il se refuse à s’en tenir à une analyse aussi partisane et invoque une responsabilité collective à travers l’injustice que subissent les pays musulmans soumis aux dictateurs sanguinaires et aux impérialismes occidentaux et russes. Le système économique mondial, tout tourné vers l’exploitation massive des ressources pétrolières au bénéfice d’une caste dirigeante et au détriment des peuples porte en lui les germes d’une violence mortifère dans laquelle s’enracine le djihadisme. Face au silence que la communauté internationale oppose au drame syrien, le Père Jacques Mourad éprouve plus de souffrances qu’en captivité.

Son livre se termine sur un plaidoyer vibrant et profond pour la non-violence, seule arme que lui, prêtre, à a opposer aux souffrances de ce monde et de son pays. Son autre arme, est plus personnelle. La captivité l’a encore plus rapproché de Dieu et il puise dans la prière la ressource nécessaire pour lutter pacifiquement. Loin de garder rancœur à ses bourreaux et geôliers, il leur pardonne et avoue les aimer, convaincu que ces hommes ont d’abord besoin de bienveillance. Et, dans un monde, notamment occidental, où l’Islam fait de plus en plus peur, il professe son amour pour ses semblables qui croient en un autre dieu que lui et dont certains sont morts pour qu’il puisse vivre.

A l’intérieur de l’église du monastère de Mar Elian
Via SyrialoockCertains droits réservés