BULLETIN D’INFORMATION N°2
Février 2018
Sommaire
I- Les enjeux cachés de la reconstruction : le cas alarmant de Homs
II- Retour sur Alep
III- La situation diplomatique, militaire et humanitaire
I- LES ENJEUX CACHES DE LA RECONSTRUCTION : LE CAS ALARMANT DE HOMS
Reportage de Bassem Mroue (Associated Press ) à Homs, dans la ville détruite que les Syriens appelaient autrefois la « capitale de la révolution », avec les survivants de la famille de Sumaya : « Ce ne sont pas seulement les bâtiments qui ont été endommagés mais aussi les âmes, dit Shilar.
Homs: Inside the obliterated town Syria once called the ‘capital of the revolution’
A- Destructions : l’urbanisme à coup de bombes
Sarah Najl Aldeen (Syrian Independent Media Group) et Syria Untold accusent Assad d’utiliser l’action militaire pour influencer les plans d’urbanisme. En effet, les activistes et résidents de la troisième ville de Syrie affirment que les forces d’Assad ont délibérément détruit des bâtiments traditionnels dans le centre-ville. Bassel remarque que les forces de l’Armée syrienne libre (ASL) ne se sont pas positionnées dans le centre-ville mais dans les environs. Les bombardements répétés du centre et des principales zones commerciales ne correspondraient donc pas à un objectif militaire mais à l’ouverture d’une voie qui coïncide avec celle du plan d’urbanisme controversé appelé “Homs Dream” « rêve de Homs ». Bien que le régime ait annoncé son intention de travailler avec l’ONU pour reconstruire la ville (suscitant par contre-coup la méfiance des habitants vis-à-vis des agences de l’ONU, notamment U.N.-Habitat). il a écarté le projet qui avait remporté la compétition parrainée par l’ONU et présenté une alternative plus lucrative pour lui. Le plan d’urbanisme adoubé par le gouvernement pour le quartier de Baba Amro, également à Homs, a soulevé les mêmes craintes.
Mais cette politique ne semble pas devoir se limiter à Homs. Le gouvernement entend appliquer le même modèle à Kafr Sousa et Mazzeh, qui sont des quartiers de Damas, et dans la ville de Daraya, assiégée durant quatre années et complètement rasée après la reddition de ses habitants. Le plan d’urbanisme de Homs préfigure ce qui attend les villes en Syrie dans le cadre de la reconstruction.
In Homs, Assad Accused of Using Military for Urban Planning Scheme
B- Reconstruction : le butin des alliés d’Assad
Selon une analyse de Hosam al-Jablawi (Syria Source), Assad ne considère pas la reconstruction comme un moyen de redressement économique mais comme une opportunité d’enrichissement personnel et un moyen de récompenser, par des transactions suspectes, les loyalistes et de punir l’opposition. On peut donc s’attendre à ce que les contrats conclus pour la reconstruction servent à alimenter la corruption et fassent l’objet d’un agenda politique très éloigné des véritables intérêts des populations et du pays.
- Autres sources disponibles
– Syrie : déplacements et recompositions des frontières confessionnelles, identitaires et politiques : Table ronde organisée dans le cadre des Rendez-vous de l’histoire du monde arabe en mai 2017, à l’Institut du monde arabe (IMA). avec Anna Poujeau, Emma Aubin-Boltanski et Nisrine Al-Zahre. Archive audio.
Syrie : Déplacements et recompositions des frontières confessionnelles, identitaires et politiques
– “Destruct to reconstruct”(« Détruire pour reconstruire ») par l’économiste Jihad Yazigi. Cette étude, de juillet 2017, commanditée par la Fondation Friedrich Hebert (Allemagne) décrit comment le régime capitalise sur la destruction des biens et la législation foncière pour organiser la reconstruction à son seul profit.
–“Rebuilding Syria” (« Reconstruire la Syrie ») : étude de Faysal Itani et Tobias Schneider, publiée en décembre 2017 par le think tank Atlantic Council. Les auteurs estiment que la reconstruction pourrait redémarrer dans les territoires qui échappent à la mainmise du régime.
-“How the White Helmets fit in Syria’s present and future?” : analyse d’Asaad Hanna pour la fondation britannique Chatham House sur le rôle grandissant pris par l’organisation des Casques blancs en 2017, et la manière dont l’ONG pourrait jouer un rôle dans la reconstruction.
How the White Helmets Fit in Syria’s Present and Future
– Les perspectives incertaines de la transition politique : . Analyse du chercheur syrien Sinan Hatahet, basé à Istanbul, dans AlSharq Forum. Compte-rendu dans le Bulletin d’information Comité Syrie/Europe, après Alep n° 1.
II- RETOUR SUR ALEP
A-Trois regards sur la guerre, la résilience et le « retour à l’ordre » dictatorial
– Hosam Katan, photographe
De 2013 à 2015, Hosam Katan a photographié, notamment pour l’agence Reuters, la guerre à Alep : « Je veux montrer la vie quotidienne, pour apporter une vision plus digne et profonde de la vie des gens dans une zone de guerre », explique-t-il. Son travail est rassemblé dans un livre, « Yallah Habibi » [Kehrer Verlag], publié en novembre 2017.
«Yallah Habibi», récit de la vie quotidienne à Alep
– Lina Sergie Attar, écrivaine et architecte
Originaire de la ville d’Alep, co-fondatrice de Karam Foundation, Lina Sergie Attar est inconsolable. Tous les matins, elle doit faire la paix avec le sentiment de perte et de dévastation qui l’habite et dépasser la culpabilité et la honte quand des souvenirs inattendus resurgissent. Ses amis restés sur place se réfugient-ils dans l’ironie ou sont-ils encore d’humeur subversive, se demande-t-elle en décembre 2017. Et elle poursuit avec une lucidité mêlée d’autocritique : « au cours des sept années qui se sont écoulées depuis que des millions de personnes à travers le Moyen-Orient se sont soulevées contre les dictateurs qui les dirigeaient, ce sont ceux qui ont croisé les bras, ont détournés les yeux et gardé le silence pendant que leurs concitoyens étaient massacrés, disparaissaient et s’exilaient, qui ont adopté la position la plus pertinente », avant d’ajouter « Pour le moment, tout au moins. ». Et de poursuivre : « Quand le désespoir m’atteint, j’essaie de me concentrer sur ce qui est pertinent. Je réinvente l’espoir à partir de cet état d’oppression, absolu et statique, par l’exécution de milliers de petites actions qui peuvent améliorer les choses à long terme – comme sauver des enfants syriens réfugiés de la nécessité de travailler ou raconter à mes enfants des histoires sur ma ville bien-aimée afin qu’ils puissent créer leurs propres “souvenirs d’Alep”, même si elles ne peuvent jamais y aller. Nos espoirs résident dans la conviction que le cumul de ces actions justifiera notre vision d’un avenir juste et libre, voir finira par la réaliser. C’est notre bataille désormais. Et souvent, c’est surtout avec nous-mêmes que nous apprenons à survivre. »
Grieving for Aleppo, One Year After Its Fall
– Bassem Mroue (Associated Press) : Plus d’un an après la défaite des rebelles, une grande partie d’Alep est encore en ruines, constate Bassem Mroue. « Depuis la victoire des forces de Bachar al-Assad, il y a eu peu de tentatives de réconciliation et la façon dont une partie de la ville s’est soulevé contre le régime est un sujet tabou ». Par conviction ou par crainte de représailles, les habitants ne livrent aux journalistes que des déclarations pro-Assad. Ceux qui affichent leur soutien à l’opposition ne sont pas revenus ou se tiennent à l’écart.
Life slowly returns to Aleppo, shattered by Syrian civil war
B – Et une foule de questions en suspens
L’opposition syrienne – politiques, militaires et civils – a-t-elle tiré les leçons de la chute d’Alep, se demande Abdullah Almousa, chercheur et analyste militaire. A-t-elle perdu ses derniers alliés à la suite des pourparlers d’Astana et de la conférence de Riyad en 2017 ? Est-elle toujours porteuse d’un espoir de changement qui pourrait ouvrir la voie à la destitution d’Assad ?
Lessons Learned: A Year After the Fall of Aleppo
C – Autres sources de réflexion
Trois moments intitulés Retour sur Palmyre, Retour sur Alep, Retour sur Douma et Deraya ont scandé la réflexion sur nation, révolution, transmission de la mémoire qui a terminé le cycle de manifestations parisiennes « Syrie : à la recherche d’un monde » (décembre 2017 -janvier 2018). Organisée au Centre Pompidou le 21 janvier, dans le cadre du Festival Hors Piste, la table ronde sur Alep s’est terminée par un dialogue impromptu entre de jeunes activistes devenus photographes, réfugiés aujourd’hui à Paris, qui a fait dire à l’un d’entre nous que la « fine fleur » des révolutionnaires syriens s’était retrouvée ce jour-là à Beaubourg.
Par ailleurs, les travaux du colloque international des 14 et 15 décembre 2017 à l’université Paris VII, conçu par Catherine Coquio, professeur de littérature comparée, avec Hala Alabdalla et Nisrine al-Zahre, au centre de ce cycle d’une ampleur exceptionnelle, sont désormais accessibles en ligne.
Syrie : à la recherche d’un monde
III- La situation diplomatique, militaire et humanitaire
A-« La guerre sans fin »
– Les cinq principales zones de combats en Syrie cartographiées au 23 janvier pour France 24
Les cinq principales zones de combats en Syrie
Le 29 janvier, la Russie a annoncé un retrait partiel de ses moyens aériens. Il s’agit ainsi de marquer la victoire militaire du président russe Vladimir Poutine dans la perspective de l’élection présidentielle prévue pour le 18 mars 2018, mais le retrait est probablement une ruse, écrit Matti Suomenaro pour l’Institute for the Study of War.
Russia Maintains Airstrikes Despite Claims of Partial Withdrawal of Forces
– Afrin
Qui sont les combattants kurdes en Syrie ?
Allies or Terrorists: Who Are the Kurdish Fighters in Syria?
Qui sont ces rebelles syriens alliés à l’armée turque? (Opération « Rameau d’olivier »)
« Rameau d’olivier »: qui sont ces rebelles syriens alliés à l’armée turque?
– Après Afrin et Sotchi
Dans son analyse, mise en ligne le 31 janvier, sur l’attaque d’Afrin par la Turquie et la réunion de Sotchi, Michel Duclos, ancien ambassadeur de France à Damas de 2006 à 2009, aujourd’hui conseiller spécial à l’Institut Montaigne, souligne que la confrontation américano-iranienne tend à devenir désormais un facteur majeur du conflit syrien.
La guerre sans fin en Syrie – Après Afrin et Sotchi
– Idlib, sous le feu
Le 29 janvier, un hôpital soutenu par MSF est ciblé et détruit par des frappes russes près d’Idlib. Plusieurs morts
Syria: MSF-supported hospital in Idlib closed after damage from airstrikes
Le 30 janvier, Panos Moumtzis, le coordinateur humanitaire de l’ONU en Syrie se dit « consterné » par les frappes aériennes continues sur les hôpitaux mais ne nomme pas les responsables russes et syriens :
Le 30 janvier, un marché bombardé par des avions russes présumés en Syrie, 15 morts
Un marché bombardé par des avions russes présumés en Syrie, 15 morts
Bilan : 212 140 personnes ont été déplacées par les opérations d’Assad à Idlib et Hama. Ce chiffre a doublé en sept jours. La Russie s’est impliquée de manière évidente
Turkey | Syria: Recent Developments in North-western Syria
– La Ghouta, sous le feu
Le 11 janvier, un communiqué de Human Right Watch sur les enfants exposés aux attaques en Ghouta orientale.
Syrie : Les enfants exposés aux attaques en Ghouta orientale
Le 12 janvier, dans un article intitulé La vie sous le siège –Comment les gens luttent pour survivre dans la Ghouta orientale, Luna Safwan et Samer Bouidani rapportent des paroles d’espoir tenace en dépit de tout : « Je crois que nous avons fait tout ce que nous étions supposés faire ; maintenant nous devons juste attendre le jour où le siège sera brisé. Je suis certain que des jours meilleurs nous attendent ».
Life Under Siege: How People Struggle to Survive in Eastern Ghouta
Le 23 janvier, dans la Ghouta orientale, les jeunes Syriens passent leurs nuits dans des abris souterrains par Ammar Hamou et Madeline Edwards pour Syria Direct
Dans la Ghouta orientale, les jeunes Syriens passent leurs nuits dans des abris souterrains
Le 7 février, la dépêche de l’AFP titre : « troisième jour de raids meurtriers du régime sur un fief rebelle »
Syrie: troisième jour de raids meurtriers du régime sur un fief rebelle
alors que RFI parle de « bain de sang ».
Syrie: bain de sang dans la Ghouta orientale accablée par les bombes
B- Les armes chimiques encore et toujours (mais pas de « ligne rouge » en vue…)
Selon des diplomates et des scientifiques, interrogés par Reuters à La Haye, au siège de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC/OPCW), des liens ont été établis pour la première fois entre les tests de laboratoire opérés après l’attaque au gaz sarin de 2013 et des armes chimiques utilisées par le régime en 2014. Il sera désormais plus difficile pour la Syrie et la Russie de se réfugier dans le déni
Exclusive: Tests link Syrian government stockpile to largest sarin attack – sources
Pour la troisième fois depuis le début de cette année, le chlore est utilisé comme arme chimique à Douma, dans la banlieue de Damas, affirme le fondateur de Bellingcat, Eliot Higgins, spécialisé dans le journalisme d’investigation en ligne dans une perspective citoyenne
For the Third Time This Year, Chlorine is Used as a Chemical Weapon in Douma, Damascus
Mais pourquoi cette assourdissante indifférence occidentale aux attaques chimiques qui ont repris depuis le début 2018 ? demande le géographe Jean-Sylvestre Mongrenier, de l’université Paris VIII et de l’Institut Thomas More dans Atlantico :
C – Une aide humanitaire bloquée
Les opérations humanitaires en Syrie ne vont « nulle part », admet l’ONU. Le régime syrien de Bachar al-Assad n’a autorisé aucun convoi d’aide humanitaire à entrer en Syrie depuis deux mois, a dénoncé le conseiller spécial du médiateur de l’ONU pour la Syrie, Jan Egeland.
Les opérations humanitaires en Syrie ne vont « nulle part », admet l’ONU
D- Les disparitions forcées : le combat de l’association « Familles pour la liberté »
Créée il y a un an, par huit épouses, mères, sœurs, et filles de détenus victimes de détentions arbitraires ou de disparitions forcées, l’association Familles pour la liberté
Syrian Families, est arrivée en bus à Paris le 27 janvier. Premier rassemblement, place de la République où elles ont été rejointes par des Syriennes de Paris dans la même situation. Le lendemain, elles ont été chaleureusement accueillies par l’association Souria Houria (Syrie libre). Et le surlendemain, elles ont été reçues par la section de la Ligue des droits de l’homme de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et le Comité Syrie-Europe, après Alep, dans une enceinte académique, forme de reconnaissance à laquelle elles ont été sensibles car plusieurs d’entre elles sont avocate, médecin, professeure…Leurs histoires individuelles, telle celle de Fadwa Mahmoud, filmée par The Syria Campaign, sont bouleversantes.
Mais leur cause est collective : elles se battent pour tous les disparus. Leur mot d’ordre est simple : elles veulent savoir la vérité sur le sort de leurs proches et veulent les voir revenir, s’ils sont encore en vie. Elles sont prêtes à se battre dans la durée comme les mères et grand-mères de la place de Mai en Argentine dans les années 70…Prochaine étape du bus : Berlin.
L’historien André Burguière s’est entretenu avec l’une d’elles, réfugiée politique en France dont la fille, très émue, était présente à la rencontre.
Rencontre avec l’association Familles syriennes pour la liberté
POUR ALLER PLUS LOIN
La mémoire vive d’Alep partagée par Salam Kawakibi sur France Culture
Mémoire(s) d’Alep, avec Salam Kawakibi
Le regard de Najah Bukai sur la prison et la torture traverse l’Atlantique.
Haunted by Memories of Syrian Torture, Saved by Art
L’art syrien, entre Beyrouth et Berlin.
L’art syrien, entre Beyrouth et Berlin
La collecte et sélection des informations de ce bulletin a été arrêtée le 7 février. Le comité Syrie/Europe, après Alep remercie Marc Hakim et Claire A. Poinsignon pour leur contribution à la rédaction du bulletin.
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