Par Fred Breton.
Titre : Syrie, la Révolution orpheline.
Auteur(s) : Ziad Majed.
Editeur : Sinbad – Actes Sud. 2014. 171 pages.
Politologue libanais et grand connaisseur de la Syrie, Ziad Majed livre ici l’un des ouvrages de référence pour éclairer la Révolution syrienne. Écrit 3 ans après le début du soulèvement populaire, son livre en décrit les ressorts et moteurs initiaux ainsi que son évolution progressive vers la lutte armée face à la répression brutale d’un régime qui a été jusqu’à utiliser l’arme chimique pour mater les protestataires. Du côté politique internationale, l’appui Russe et Iranien au régime Assad ainsi que les tergiversations du « camps » occidental sont également analysés sans omettre la montée en puissance des groupes djihadistes. Le foisonnement culturel et l’intense créativité artistique, caractéristiques méconnues de la Révolution syrienne, ne sont pas oubliés ce qui est rare dans les ouvrages sur la Syrie. Ziad Majed décrypte également le narratif, repris par une très large majorité de l’échiquier politique occidental, qui vise à présenter le régime Assad comme le dernier rempart laïc et progressiste face à la barbarie.
*******************************************************************
Cet article, ou plutôt chronique, inaugure une nouvelle rubrique qui sera dévolue aux livres consacrés à la Syrie. En effet, si l’offre éditoriale sur ce pays a longtemps été plutôt confidentielle et réduite, force est de constater que depuis 2011 les livres sur la Syrie se multiplient. Et lorsqu’une offre se diversifie, le meilleur comme le pire finissent par se côtoyer. Dès lors, même si nombre des livres dont il sera progressivement question dans ces pages ont été chroniqués ailleurs, il a semblé opportun d’offrir au lecteur, régulier comme passager de ce site, la possibilité d’aller plus loin dans sa quête d’information. La lecture d’ouvrage de fonds, qu’il s’agisse de témoignages, de romans ou d’essais, constitue un éclairage souvent précieux et complémentaire aux articles et autres informations brèves liées à l’actualité.
Les avis et chroniques, n’engagent bien évidemment que leur auteur.
Parce qu’il faut bien faire un choix, la première chronique est consacrée au livre de Ziad Majed : « Syrie, la Révolution Orpheline » (Sindbad – Actes Sud 2014). Ce livre a initialement été publié en arabe, en 2013, sous le titre « Sûriya al-thawra al-yatîma ». La traduction française a été assurée par Fifi Abou-Dib, chroniqueuse à l’Orient – le Jour, avec la contribution de l’auteur. C’est un essai assez court, 179 pages, et qui se lit aisément. Même s’il commence à dater, il reste d’une brûlante actualité et frappe également par l’acuité malheureusement prémonitoire des analyses de Ziad Majed. Le lecteur qui ne s’est pas encore particulièrement intéressé à la question Syrienne comme celui qui aura suivi les événements avec assiduité y trouveront un égal intérêt.
Le choix n’est en fait pas si arbitraire car le livre, à travers 5 chapitres, encadrés par une introduction et une conclusion, balaye les thèmes principaux à savoir : les ressorts de la Révolution, la violence de la répression du Régime d’Assad, les jeux d’alliance des principaux protagonistes et la propagande contre-révolutionnaire qui a occulté les fondements de la Révolution initiale.
Dans l’introduction, Ziad Majed repose brièvement les contextes politiques et sociétaux qui ont allumés la mèche des Printemps Arabes de la Tunisie au Yémen. Chacune de ces Révolutions a son histoire mais elles ont en commun d’être une forme d’explosion due aux effets des « mutations démographiques, économiques et culturelles mûries sur 3 décennies. ». Elles témoignent également, particulièrement dans les cas Syriens et Libyens, de la volonté des révolutionnaires de se réapproprier et le temps et l’espace politiques. Au sein de ces Révolutions qui ont toutes connu des suites malheureuses et dramatiques, Tunisie exceptée, la Révolution Syrienne représente toutefois une exception à tous points de vue comme l’auteur s’attache à l’expliquer dans les différents chapitres du livre.
Le premier chapitre est consacré à une « analyse du système despotique établi par Assad père, dont la domination a perduré après que son fils lui eut succédé. ». On ne trouvera pas, bien sur, en 30 pages une analyse descriptive fouillée de la Syrie des Assad mais celles-ci suffisent pour offrir une vision très nette de la manière méthodique dont Hafez Al-Assad a verrouillé la Syrie toute entière jusqu’à complètement en occulter l’intérieur, la société même, aux yeux du Monde entier. En conjuguant avec habileté une personnalisation absolue du pouvoir, un clientélisme lui assurant le soutien des élites bourgeoises et religieuses, le noyautage de toutes les organisations civiles et politiques ainsi que la construction d’un appareil de renseignement, sécuritaire et répressif capable de la plus grand des violences, Hafez Al-Assad a eu raison de la vitalité dont avait témoigné la société Syrienne dans la foulée de l’indépendance. Ziad Majed rappelle ensuite que Bachar ne fut pas l’option initiale retenue par son père pour lui succéder mais dès lors que le sort voulut que ce fut lui, tout fut mis en œuvre pour que cette succession s’impose comme une évidence. Les espoirs d’ouverture suscités par l’avènement d’un homme jeune, et présenté comme occidentalisé, permirent l’émergence du Printemps de Damas mais celui-ci ne dura guère. Au final le fils s’inscrivit dans la continuité absolue de l’effacement de la société entrepris par le père. Sur le plan politique extérieure, le père puis le fils jouèrent assez habilement des relations locales, régionales et internationales pour positionner la Syrie comme un état pivot au Moyen-Orient. Et un état qui plus est incontournable dans la guerre contre le terrorisme, avec lequel ils n’eurent de cesse d’entretenir des relations plus qu’ambivalentes entre soutien direct et lutte uniquement pour sauvegarder les apparences.
Le second chapitre est consacré au processus révolutionnaire débuté en mars 2011 ainsi qu’à la barbarie de la contre-révolution conduite par Assad. Il s’achève sur le bombardement à l’arme chimique sur la Ghouta en août 2013. Depuis Deera, où les premiers morts furent des enfants, puis le Rif de Damas, Deir Ezzor, Homs, Idlib, Douma, Darraya, l’université d’Alep, c’est le pays qui est progressivement gagné par un mouvement révolutionnaire spontané et pacifique. Les premières répressions brutales ne tardent guère et les morts s’accumulent assez rapidement pendant que se met également en place le narratif qui vise à présenter les protestataires comme des terroristes. Ziad Majed décrit avec précision la chronologie progressive des événements sur moins de 3 ans : les manifestations et leur organisation, la répression qui suit une courbe ascendante pour culminer avec des massacres à grande échelle (Homs 2012), les défections dans l’Armée Arabe Syrienne, la création de l’Armée Syrienne Libre en réponse aux brutalités du régime, les tergiversations de l’opposition qui peine à se structurer, les gains territoriaux des révolutionnaires et opposants, l’appui des parrains d’Assad comme l’Iran et le Hezbollah pour empêcher son effondrement et la montée en puissance des groupes djihadistes sans oublier l’émergence de logiques confessionnelles absentes au début du mouvement.
Le troisième chapitre porte l’accent sur l’un des aspect les moins traités médiatiquement de la Révolution syrienne que fut, et qui est encore, son étonnante créativité dans un pays autant étouffé et bridé. Les dynamiques artistiques explosèrent et surprirent les observateurs les plus attentifs. La peinture, la chanson, l’écriture, la poésie, la vidéo, la photographie devinrent des vecteurs foisonnants d’innovations et de créativités pour véhiculer des messages politiques, exorciser la peur ou simplement libérer la parole. Ziad Majed évoque également les slogans du vendredi, choisis avec soin, le rôle des femmes, telle Raizan Zaïtouneh ou encore l’émergence de figures masculines charismatiques issues de milieux ruraux et conservateurs. Il n’oubliera pas de citer les activistes de la ville de Kafr Anbel qui ont choisi l’humour comme arme de communication. Dans ce processus Révolutionnaire, Internet aura joué un rôle central en tant que mode de communication mais aussi de cohésion, de lien quasi organique entre les manifestants dans un même ville mais également d’une ville à l’autre. Comme le dit l’auteur, la Syrie de l’intérieur, longtemps dans la pénombre, semblait alors revenue à la lumière malgré la dureté de la répression et elle mériterait que l’on s’y s’attarde plus avant tant son inventivité fut grande.
Le quatrième chapitre s’attarde sur les jeux d’alliances locales et internationales. Le moins que l’on puisse dire est que le Régime Syrien aura reçu le soutien inconditionnel et efficace d’acteurs régionaux comme internationaux : Hezbollah Libanais, Iran et ses Gardiens de la Révolution, Russie, milices irakiennes chiites ou afghanes n’auront pas ménagés leurs efforts pour empêcher l’effondrement de leur allié. La Chine aura également joué un rôle par ses veto à l’ONU. Pour ce qui est des opposants au Régime, au sens large, les soutiens auront été plus ou moins motivés et surtout ambivalents. Chaque acteur, que ce soit la Turquie, le Qatar ou l’Arabie Saoudite aura eu son propre agenda et imposé ses propres orientations aux révolutionnaires en contrepartie de leur appui qui n’aura jamais été déterminant quoiqu’il en soit. Et pour ce qui concerne l’Europe et les Etats-Unis, c’est la frilosité qui l’emporta même si la France, abandonnée par Obama après la Ligne Rouge si mal nommée, était restée la plus motivée par des frappes punitives auxquelles elle renonça in fine.
Le dernier chapitre explore la propagande contre-révolutionnaire et son impact dans l’opinion publique. Entre gauche « névrosée », complotisme, pseudo-neutralité, vision tronquée d’un régime perçu comme un chantre de la laïcité, distorsions qui mirent au même niveau crimes du Régime et exactions de l’opposition et pour finir amalgames qui les assimilèrent à des islamistes radicaux, les Syriens révolutionnaires ne bénéficièrent que de soutiens peu nombreux, relativement épars et qui ne pesèrent guère dans l’opinion publique et les médias.
La conclusion fustige l’immobilisme d’un Monde qui a préféré voir une barbarie perdurer par crainte de la voir remplacer par une autre qui pourtant a finit par se développer, les tenants de la démocratie ayant été soigneusement éliminés. En 2013, Ziad Majed disait que le chemin de croix de cette Révolution qui avait réalisé de grandes choses était encore long. J’imagine qu’il savait malheureusement à quel point et qu’il aurait préféré avoir tort…
En synthèse, le livre de Ziad Majed est l’un des incontournables à lire pour qui souhaite appréhender la Révolution Syrienne en surface comme en profondeur. Il a cette qualité de faire le tour de l’essentiel de manière synthétique mais pour autant extrêmement explicite.
Note additionnelle : Ziad Majed publie également depuis 2011 sur un Blog consacré aux Printemps Arabes : http://vendredis-arabes.blogspot.fr/
L’on y suivra tout autant des billets de réflexion sur le Monde Arabe que son actualité à travers la mise en ligne d’articles ou d’extraits d’émissions et conférences auxquelles il participe.