Je n’ai pas voulu voir ton visage bousillé par les coups !

Dans l’enfer qu’est devenue la Syrie, alors qu’ils n’y avaient pas d’attaches particulières, des personnes du monde entier tissent des liens à travers les réseaux sociaux avec des Syriens et des Syriennes, qui y survivent au quotidien. De véritables amitiés se créent, et ces échanges sont source de réconfort pour celles et ceux qui sont oubliés du Monde. Et lorsque tombent de terribles nouvelles, c’est l’angoisse qui alors étreint.
M., dont l’un des amis a été enlevé le 30 mars à l’est d’Alep, a écrit ce texte après plus de 15 jours sans nouvelles. Nous vous le proposons aujourd’hui. (A noter que l’ami a été relâché le 18 avril 2019).

 

Photo personnelle. M. Hiver 2018-2019

Whatsapp – « Lun. 1 avr.« 

« X was kidnapped in West Aleppo« 

– « WTF are you talking about?!« 

« He disappeared 2 days ago.« 

J’ai arrêté de respirer. Mon corps s’est fermé. Mon cœur s’est figé. Respirer c’est pleurer. Je ne veux pas pleurer. Je ne veux pas respirer. Si j’respire, j’suis foutue. J’peux pas être foutue. Je dois tenir, rester solide, forte, indestructible. Tenir.

Ils t’ont tabassé. Je serre les dents. J’ai envie d’hurler, j’ai envie de les frapper, j’ai envie de tout niquer. J’ai en moi la haine de l’injustice, la colère suicidaire, la folie destructrice.

Je rêve de vengeance, je rêve de violence. Je voudrais qu’ils souffrent comme ils te font souffrir, comme ils nous font souffrir, ta famille, tes amis, tous ceux qui t’aiment, et puis les autres aussi, tous ceux dont ils se sont servis pour punir, s’enrichir, asservir. Ces fils de pute.

Quinze jours qu’ils nous baladent comme du bétail, au gré de leurs délires sadiques et tout puissants, au gré de leurs humeurs, de leurs lubies. Un message par-ci, une rançon par-là, un ultimatum, et puis un autre, histoire de tester notre résistance et notre capacité à récolter leur pognon.

Personne ne sait combien de temps cela va durer, ni même s’ils ne vont pas te tuer, pour finir, las qu’ils seront peut-être de jouer avec toi, avec nous, ou déçus par la somme péniblement récoltée pour te libérer.

Mon regard erre, divague. Souvent dans mon esprit perdu, je pars à ta recherche. Je refais ton trajet, jusqu’à ce qu’ils t’arrêtent. Quand ils surgissent, je ressens ton effroi, j’ai peur avec toi, je suis toi. Ils t’emmènent, je te perds.

Pourtant jamais je ne te laisse seul. Je refuse. Plutôt crever que te lâcher.

Les jours passent, mais le temps s’est arrêté. Je revivrai quand ils t’auront libéré. En attendant, je suis un mur infranchissable. Rien ne m’atteint, je suis ailleurs, avec toi, et personne d’autre.

Dans le désespoir de l’urgence, la vérité s’impose, les liens sincères deviennent indestructibles tandis que les soutiens fragiles vacillent. Nous sommes ensemble, seuls. Terriblement seuls.

« mard. 16 avr. « . Ici, là-bas. J’espère juste que tu n’as pas froid.

M. Le 16 avril 2019