Titre : Ecrits libres de Syrie : de la Révolution à la guerre.
Auteur(s) : Collectif sous la direction de Franck Mermier.
Editeur : Classiques Garnier. (Août 2018)
Au fil de près de 9 années de guerre à ce jour en Syrie, l’offre littéraire sur le sujet s’est malheureusement densifiée. A de rares exceptions près, peu de textes ont jusqu’alors été proposés au public francophone et émanant d’auteurs, intellectuels ou citoyens syriens engagés. L’ouvrage de Franck Mermier répond à cette lacune et rend hommage à l’abondante production intellectuelle syrienne qui émerge dès le début de la Révolution pacifique de 2011. Il livre des analyses, chroniques ou témoignages traduits depuis l’arabe. Ces écrits, pris individuellement comme dans leur ensemble, mettent en exergue un aspect occulté de cette Révolution : son extraordinaire diversité en termes de dynamiques intellectuelles et citoyennes.
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Par Fred Breton.
A travers 269 pages incluant présentation, index et résumés, Franck Mermier propose 17 textes de 15 auteurs syriens différents. La richesse de l’ouvrage tient tant la diversité des origines, parcours et engagements des auteurs que dans les écrits qui permettent de balayer l’essentiel des aspects de la Révolution et de ses suites.
Malheureusement occultée par le traitement médiatique dominant centré sur les aspects militaires, sécuritaires et humanitaires, la Révolution de 2011 a été l’occasion d’une incroyable libération de la créativité dans les domaines artistiques et intellectuels. La résistance civile et l’action citoyenne se sont exprimées à travers de nombreux écrits publiés par des médias nouveaux et innovants.
L’écriture habitée. A propos de quelques caractéristiques de la nouvelle écriture syrienne. Yassin Al-Haj Saleh.
Yassin Al-Haj Saleh est l’un des écrivains politiques de premier plan les plus aiguisés en termes d’analyse et d’observation de la société syrienne. Il était donc parfaitement logique qu’une chronique de sa part, surtout consacrée aux nouvelles écritures syriennes ouvre le livre.
Pour Saleh, les nouvelles écritures prennent leur source dans les expériences « extraordinaires » vécue par la multitude de syriens qui se sont investi corps et âmes dans la Révolution. Selon lui, le caractère profondément tragique du vécu transforme l’écriture en un acte de lutte. Cette nouvelle écriture ne saurait aujourd’hui entrer dans une quelconque catégorie littéraire et évolue sans cesse. Elle casse les codes stéréotypés imposés par l’étouffement intellectuel de 40 ans de dynastie Assad au fur et à mesure que les acteurs prennent confiance en eux et transgressent des tabous jusque-là inaltérables. Cette transgression apporte aux auteurs, et aux syriens plus largement, une confiance en soi nouvelle qui libère et pousse à penser et décider par soi-même.
Pour Saleh, cette écriture est également une Révolution en ce sens que les auteurs ne sont pas forcément des écrivains, que l’écriture emprunte aux réseaux sociaux et aux codes de la langue parlée, qu’elle est proprement habitée « par les voix des gens, leurs histoires, leurs images, leurs récits, leurs petites anecdotes et leur mort » et que les femmes y participent activement.
Du caractère non citadin de la révolution syrienne. Omar Kaddour.
Omar Kaddour est un écrivain – poète qui n’a pas attendu 2011 pour dénoncer le régime des Assad. Il est entré en clandestinité dès 2011.
Son texte revient sur la frilosité relative des mouvements protestataires à Damas et Alep, un an après le début du processus révolutionnaire. Saisir les raisons de ce qu’il qualifie de tiédeur passe par la compréhension des processus répressifs mis en place pour contrôler les villes.
A Damas, en combinant forces de l’ordre et shabihas (miliciens brigands), le Régime a complètement verrouillé les places principales. Les protestataires ont alors dû se rabattre sur les quartiers plus informels en s’adaptant et s’appuyant sur leurs structures sociales.
Parmi ces quartiers, celui de Midan est assez symbolique. Les manifestants y sont venus d’autres quartiers ou villes, en ont respecté les codes assez conservateurs et ont reçu refuges et soutiens de la part des habitants. A Damas ou Alep, l’architecture et l’organisation urbaines ont eu un impact significatif sur le processus révolutionnaire.
Journal du siège de Douma, 2013. Samira Al-Khalil.
Samira Al-Khalil est également une activiste historique. Elle est la femme de Yassin Al-Haj Saleh et a disparu depuis le 9 décembre 2013, dans Douma alors assiégée par les forces d’Assad.
Pour la 1ere fois en France, le texte permet de découvrir un extrait du journal qu’elle a tenu en 2013 lors du siège de la Ghouta. Ces chroniques quasi quotidiennes racontent la vie des habitants de Douma au jour le jour et représentent autant de situations et de témoignages de ce quotidien dont aucun écho n’était parvenu à cette époque : les écoles qui ouvrent vaille que vaille, la lutte permanente pour la survie et quelques vêtements, la mort qui vous emporte de frayeur après la chute d’un obus, la quête de nourriture, la volonté de chercher à mener une vie normale, de préserver les gestes habituels…
Le piège désiré. Chroniques damascènes, 2014. Naïla Mansour.
Naïla Mansour est enseignante et vit en exil en France.
Le Piège désiré est raconté depuis Damas où s’immiscent la guerre et la répression. C’est un texte très dense, très personnel et empreint d’une réflexion autour du thème de « la mort permanente ». Le langage y est vu comme séparant les camps entre « officiels » et « révolutionnaires ». Le texte met en exergue l’accumulation de défaites subies par les opposants démocratiques en cultivant l’espoir d’un renouveau à venir.
Le Daesh syrien. Chômage, désespoir et violence endémique. Saber Darwich.
Saber Darwich est journaliste et chercheur syrien aujourd’hui exilé en France.
Son texte traduit ici est une étude assez poussée sur l’émergence et l’évolution de Daesh (ou Etat Islamique) en Syrie. Il revient en détail sur l’histoire de ce groupe qui apparaît en Syrie en avril 2013. Il balaye le lien commun assez simpliste qui voudrait que Daesh soit une création d’Assad mais étaye toutefois le rôle du régime dans la manipulation du Djihadisme pour arriver à ses fins. Cette manipulation aura toutefois l’effet pervers de se retourner contre lui. L’origine de la puissance financière du groupe est également expliquée. Les principaux hommes forts du Califat (en 2015) sont mis en lumière ainsi que leurs liens de connivence avec le Baath Syrien pour certains d’entre eux. Une subtilité consubstantielle à l’essence même du Califat tient au fait que les dirigeants y sont pétris de leurs convictions idéologiques là où la masse des combattants s’y est ralliée plus par opportunisme et pragmatisme économique et militaire. Il n’en reste toutefois pas moins que les moteurs principaux de motivations restent la violence et l’absence d’espoir.
Abou Rassoul Al-Najjar. Témoignage d’un combattant de la brigade Al-Tawhid. Khalifa Al-Khuder.
Khalifa Al-Khuder a « profité » d’un séjour dans une prison de Daesh pour recueillir des témoignages de prisonniers.
Abu Rassoul Al-Najjar est un combattant de la brigade Al-Tawhid (L’unité en arabe) qui s’était donnée pour objectif d’unifier toutes les factions. Arrêté par Daesh pour d’obscures raisons, il va préparer une évasion de la prison d’Al-Bab où il atterrit un an après son arrestation. Appuyé par les combattants kurdes du PKK/YPD, il mènera à bien cette entreprise et se réfugiera en Turquie…d’où il repartira pour tenter de libérer ceux qui se sont fait reprendre.
Hajar et le bataillon féminin de Daesh. Ahmed Al-Haj Saleh.
Ahmed Al-Haj Saleh, frère de Yassin, a fui Raqqa menacé par Daesh. Réfugié en France, il documente les exactions du Califat.
Ahmed a recueilli le témoignage, essentiel, de Hajar qui fut un membre très actif de la brigade féminine de Daesh : Al-Khansa. Sous l’autorité de Oum Rayyan, une tunisienne, ce bataillon a été formé en février 2014. Fort de 35 femmes, assurait la police des femmes mais était surtout pourvoyeur de compagnes pour les hommes du Califat. Les syriennes étaient fortement opposées à être unies à des étrangers. Le bataillon s’est illustré dans les fermetures d’écoles et les violences envers les enseignantes. Certaines, particulièrement les européennes, se sont distinguées par un caractère spécialement sadique. Cette violence et ces asservissements étaient justifiés au nom d’un Islam que Hajar estime aujourd’hui dévoyé.
Racha, une jeune fille de Raqqa. Le silence, la liberté et un niqab grand comme un pays. Yassin Swehat.
Yassin Swehat, journaliste, est le rédacteur en chef d’Al-Jumhuriyya.
Racha, jeune fille de la classe moyenne de Raqqa, a vécu la courte libération de sa ville qui vit la jeunesse s’éblouir à l’optimisme. Le réveil fut très rude avec l’installation très rapide de Daesh qui va purger impitoyablement Raqqa de ses révolutionnaires. Le Califat y installe alors un règne de terreur. Racha, qui y vit en enfermement mortifère, quitte la ville en désespoir de cause pour se réfugier en Turquie.
Les transformations du discours d’Al-Qaïda en Syrie. Ahmad Abazeid.
Ahmad Abazeid, ancien de l’Armée Syrienne Libre, publie aujourd’hui des études sur les groupes armés.
Dans cet article très fouillé, il s’intéresse aux évolutions du discours d’Al-Qaïda en Syrie à travers ce qui fut le Front Al-Nosra (devenu aujourd’hui Hayyat Tahrir al-Sham désolidarisé d’Al-Qaïda). Ce discours, étudié à travers l’analyse minutieuse des propos des cadres du Front, se caractérise par une évolution très articulée en fonction des relations entre cette organisation et les révolutionnaires. Il « emprunte tantôt à la terminologie révolutionnaire locale, tantôt à la rhétorique djihadiste mondiale. »
Portrait commun. Omar Kaddour.
Omar Kaddour se découvre martyr. Il vit son enterrement de l’extérieur tout en se remémorant l’instant de sa mort. Il évoque alors la litanie des martyrs toujours plus nombreux au gré des représailles et des bombardements conduits par les hommes de celui qu’il nomme « le fils de l’homme à l’âme maudite ».
Alep. Le siège, la résistance et le grand exode. Sadek Abdul Rahman.
Sadek Abdul Rahman est membre du comité de rédaction d’Al-Jumuhuriyya.
A l’été 2016, le régime se lance à la reconquête d’Alep-Est dont il avait été expulsé par l’ASL. Cette offensive pris fin le 22 décembre 2016 avec l’évacuation des derniers expulsés forcés dans les bus verts. L’auteur raconte, à partir de la prise de la route du Castello, comment le régime a reconquis progressivement la ville. Dans cette prise, les dissensions entre groupes d’opposition, l’échec d’un accord Russo – Américain, le jeu de la Turquie, l’implication Russo – Iranienne ont joué un rôle essentiel.
Chroniques de Saraqib. (Région d’Idlib). Sadek Abdul Rahman.
Sadek Abdul Rahman pointe la focale sur une ville emblématique, Saraqib. Petit village, Saraqib a une longue tradition d’hospitalité et d’entraide. Elle manifestera très vite contre le pouvoir et fait montre d’une tendance pacifiste prononcée. Elle voit quand même émerger des tenants de la lutte armée dont de véritables et dévoués héros comme Mohammed Haf. Saraqib rejette Daesh et met en place un mouvement civil d’autogestion assez novateur. En 2017, il ne reste que 10% de la population de 2011 et cette ville aura marqué de son empreinte durable l’imaginaire et l’histoire de la Révolution syrienne.
Rejoindre la région d’Idlib à travers 35 centimètres. Moustafa Abou Chams.
Moustafa Abou Chamas, pharmacien, écrit pour Al Jumhuriyya depuis 2016.
Partir, revenir, repartir, revenir… A travers l’étroit passage de 35 cm par lequel les Syriens franchissent la frontière Turque à Bal Al-Hawa, l’auteur raconte son expérience du passage. Il observe et décrit les comportements des revenants et de ceux qui sont restés, entre lesquels les relations sont très ambivalentes.
Journal de notre exode de Raqqa. Quatre jours sous la protection d’une voiture piégée. Malaka Al-Ayeed.
Malaka Al-Ayeed est journaliste.
4 jours, c’est le temps qu’il fallut à l’auteur pour fuir Raqqa. 4 jours qu’elle dut passer avec sa famille coincée entre 2 belligérants : Daesh et les Forces Démocratiques Syriennes. Le désarroi et l’angoisse permanents des fuyards imprègnent son récit qui met en exergue l’égal mépris dont témoignent les deux partis vis-à-vis des civils.
La vieille ville de Damas ou la peur de l’Autre. Jana Salem.
Jana Salem écrit sous pseudonyme.
Dans un Damas corseté par les forces de sécurité et les shabihas, l’auteur observe le tissu social se dégrader au fur et à mesure que s’élèvent les murailles d’un cloisonnement confessionnel qui divise profondément une ville plongée dans la peur de l’Autre.
Les alaouites. Leur voyage vers la Syrie, leur voyage hors de Syrie. Iyad Abdallah.
Iyad Abdallah, réfugié en France, écrit pour Al-Jumhuriyya.
Dans un long développement très documenté ; l’auteur raconte l’évolution de la communauté alaouite depuis le mandat Français jusqu’à nos jours avec l’avènement des Assad.
Le PKK et sa branche syrienne. Du sadisme de la maison-mère et du masochisme de la succursale. Hooshang Osei.
Installé en Belgique de longue date, le journaliste et écrivain Hooshang Osei est Kurde de Syrie sans bénéficier de la nationalité syrienne.
Hooshang Osei s’attarde sur les relations pour le moins ambivalentes en apparence entre le PKK Turc et le PYD Syrien. Une apparence soigneusement entretenue par le PYD qui souhaite démontrer son indépendance vis-à-vis du PKK, cette indépendance n’étant qu’une façade au regard des liens de subordination qui lie le premier au second.
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